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©Leslie Rabine

Le portrait de la semaine : Ken Aïcha Sy, créatrice de la plateforme Wakh’art et du label WAMusic

©Leslie Rabine

Designer de profession, créatrice de Wakh’art, co-fondatrice du label WAM et gestionnaire de la Boite à idée, Ken Aïcha Sy est une vraie entreprise culturelle à elle toute seule ! De nombreuses cordes à son arc avec toujours comme fil rouge la mise en avant de la culture sénégalaise. Rencontre avec cette dynamique et fervente défenseuse de la culture pour tous, qui croit à l’Art comme facteur de développement.

Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Ken Aïcha Sy et j’ai 28 ans. Je suis née à Dakar d’une maman métisse française-antillaise et d’un père sénégalais. Après mon bac, je suis partie étudier pendant 4 ans le design et la scénographie, à Paris. Puis je suis revenue au Sénégal en décembre 2010 pour la 3eme édition du Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN).

D’où te viens cet intérêt pour l’Art?

Au départ, je n’étais pas plus attirée que cela. J’ai vraiment développé une sensibilité à l’Art quand je vivais à Paris. De par mes études artistiques je m’y suis intéressée plus en profondeur, mais c’est surtout le fait de vivre à Paris, qui est la ville de l’Art et de la culture par excellence, qui a joué. A mon retour à Dakar, je me suis rendue compte qu’on avait un patrimoine culturel immense nous aussi, avec des artistes de talent. Ça a été une vraie surprise, parce que c’est vrai, j’étais un peu dans le cliché qu’ici on avait beaucoup moins cette richesse. Et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour la mettre en lumière !

C’est de cette idée qu’est née Wakh’art (“parler d’art” en wolof) en mars 2011. Quel en est le concept ?

L’idée c’était de mettre le focus sur le contenu culturel du Sénégal. Quand j’ai créé Wakh’art rien n’existait pour mettre en avant les artistes sénégalais, rien qui les valorisait. Je me suis rendue compte que dans mon entourage, mes amis ne connaissaient pas ou très mal leur culture. J’avais rencontré pas mal de monde lors du FESMAN donc j’ai voulu partager cela avec eux et avec tous les Sénégalais. Wakh’art était au départ un blog puis 1 an après, c’est devenu une plateforme culturelle : on y trouve des interviews d’artistes, différents événements qui ont lieu à Dakar (aussi bien ceux qu’on organise que ceux des autres), des activités, la boite à idée,… Au fur et à mesure, j’ai mieux structuré Wakh’art, notamment grâce à Alpha Cire Kane qui m’a aidé pour le côté stratégie digitale. L’idée c’est vraiment de promouvoir l’Art et les artistes sénégalais, mais aussi ceux de passage au Sénégal. C’est également accompagner les nouveaux talents. On se fait leur relais, on permet la rencontre entre les artistes et le public, on aide certains à se faire connaitre… Le besoin était réel.

On a souvent l’idée que l’Art est réservé à une élite. Quel est ton point de vue sur la question ?

Déjà il n’y a pas un Art mais des arts. Bien sûr certains arts, comme l’art contemporain par exemple, nécessitent de posséder certains codes pour comprendre les œuvres. Mais d’autres sont accessibles à tous : cinéma, street art,… Le vrai problème est plutôt que l’Art est absent du programme scolaire sénégalais classique. Il y a très peu de choses faites pour éveiller les enfants, pour développer leur sensibilité à l’art et à la culture. Donc forcément cela à un impact par la suite… Pour répondre à cette vraie problématique, nous allons mettre en place, via l’association de Wakh’art, le programme « Art à l’école ». Des artistes du réseau Wakh’art viendront mener différents ateliers : écriture lyrique, théâtre/cinéma, peinture, recyclage, dans 5 établissements scolaires de Dakar. L’idée à terme c’est de développer cette initiative dans tous les établissements scolaires de Dakar.

Qu’est ce que signifie « l’Art comme facteur de développement » ?

L’Art comme facteur de développement c’est-à-dire que les industries culturelles ont des répercussions dans plein de domaines : social, éducatif,… mais aussi économique. C’est un atout considérable. Je crois à ce concept depuis longtemps déjà, j’en suis persuadée même. C’est un secteur dont les retombées sont bénéfiques pour le pays. Il faudrait vraiment développer le tourisme culturel au Sénégal, la demande est forte. L’Art comme facteur de développement, c’est aussi en dehors d’un point de vue financier, l’occasion de montrer une autre image du Sénégal, loin des clichés et des idées toutes faites que certains ont parfois en tête. Bref, c’est une évidence !

Quel est l’état de l’industrie culturelle au Sénégal ?

Sous Leopold Segar Senghor, la culture était une priorité mais après lui, presque plus rien n’a été fait dans ce sens. Il y a pas mal de jeunes artistes Sénégalais qui sont récompensés pour leur travail mais avant la reconnaissance, ils ont du batailler seuls pour arriver à percer ! On fait tout pour les décourager… Il manque une volonté politique : c’est le système qui devrait être modifié je pense. A Dakar, c’est quand même hallucinant qu’il n’existe même pas de lieux culturels ! Les musiciens jouent dans des restaurants, des théâtres, ou dans la rue mais il n’y a pas de salles vraiment adaptées pour des concerts. La seule solution reste les instituts mais cela limite aussi l’accès et ils sont tenus par des délégations étrangères. Il faudrait un lieu construit pour l’Art sous toutes ses formes qui soit tenus par des Sénégalais.

Heureusement, il y a aussi des petites choses positives qui existent, mais cela reste encore très en deçà. Rien que si l’on compare avec d’autres pays d’Afrique, par exemple l’Afrique du Sud où des grandes compagnies comme Sony sont installées, le Sénégal est à la traine. Le chemin est encore long. C’est dommage car ils y a tous les maillons de la chaine mais ils ne sont pas reliés entre eux…

Tu as ensuite co-créé avec Moulaye, le label WAM (Wakh’art Music). Peux-tu nous expliquer en quoi cela consiste ?

WAM a été crée 1 an après Wakh’art, en avril 2012, par Moulaye (artiste) et moi-même. C’est un label de musique qui a vocation à accompagner, aider et valoriser les artistes de la scène sénégalaise. On est 3 à le gérer et on travaille en parallèle avec différents studios à Dakar. WAM c’est une SARL mais avec un statut très particulier : les artistes touchent 70 % sur la vente de leur production. On n’est pas du tout dans une démarche capitaliste ! On ne produit que des artistes qui partagent les mêmes valeurs, la même dynamique que nous. C’est avant tout une histoire de feeling.

Combien d’artistes avez-vous produit jusqu’à présent ?  Quelles sont les actus à venir ?

Actuellement nous avons produit 4 artistes : Moulaye, Ophis, S’killaz et Iscience. Même si jusqu’à présent les artistes sont surtout dans le style hip-hop, le label signe tous les types de musiques.

Niveau actualités, cette année on sera très présents sur la scène musicale avec la sortie de plusieurs albums dans les prochains mois. La 1ere sortie a lieu très bientôt d’ailleurs : ça sera le 31 mars avec la sortie d’Epik, l’album de Moulaye. En dehors des sorties, on voudrait aussi former une équipe de managers pour accompagner au mieux les artistes. Souvent, ils ne se rendent pas forcément compte de tout ce qu’il y a à gérer et que c’est une vraie industrie. C’est le grand bazar ! Nous, on veut les aider à se structurer pour que cela soit moins brouillon.

Quelles ont été les difficultés auxquelles tu as dû faire face pour créer et faire reconnaitre Wakr’art/WAM dans le paysage culturel local ?

Quand j’ai débuté, je n’avais vraiment aucun soutien. J’ai juste reçu un ordinateur portable de la part d’Eiffage ! Aujourd’hui encore, c’est compliqué sur le plan financier : nous avons des partenaires de visibilité, on met en place une sorte de troc mais il manque toujours des fonds pour monter des projets. L’ancienne génération est parfois peu bienveillante face aux petits nouveaux : ils bloquent pour que le passage de témoin ne se fasse pas. Certains n’hésitent pas à mettre des bâtons dans les roues, sûrement par peur d’être dépassés…Le partage et la solidarité disparaissent rapidement dès qu’il s’agit du business et que de l’argent rentre en jeu! C’est regrettable.

Tu as aussi mis sur place un lieu qui accueille expo, brunch, projection de films,… Explique-nous ce qu’est la Boite à Idée.

La boite à idée

La boite à idée existe depuis 5 ans. Nous étions à Gueule Tapée à l’origine puis on a déménagé à Mermoz depuis 6 mois pour avoir plus d’espace. C’est un lieu qui accueille des expositions, des débats, un brunch tous les 1ers samedi du mois, des projections de films, … Le lieu a été imaginé comme un endroit pour échanger, s’exprimer, partager et se rencontrer. Il s’inscrit dans la lignée de Wakh’art, c’est un peu le QG finalement.

Tu es pleine de détermination et de volonté. Qu’est ce qui te motive ? N’es-tu pas parfois découragée face à l’ampleur de la tâche?

C’est passionnant ce que je fais, j’adore aller à la rencontre des gens et particulièrement des artistes qui ont souvent une façon de voir le monde à part, une certaine philosophie. Ils sont dans une démarche saine, pas motivés par la recherche du gain. C’est très enrichissant de les écouter et d’apprendre d’eux. Bien sûr de temps en temps, devant l’ampleur de la tâche ou l’immobilisme, j’ai des pertes d’énergie mais bon à chaque fois je suis remotivée par les gens, artistes et public confondus. Je sens qu’il y a un besoin. Et puis après 6 ans de travail, ça serait bête de tout laisser tomber !

Peux-tu nous livrer tes adresses et coups de cœur de lieux culturels que tu fréquentes à Dakar ?

J’aime bien le Djoloff (quartier de Fann Hock) qui a un cadre vraiment agréable. En ce moment, les propriétaires sont en train de réaménager la cave pour en faire un lieu de concert. C’était LA salle de jazz de référence il y a 20 /30 ans. J’apprécie aussi la Mer à table : il y a toujours des concerts sympas. En fait, c’est suivant la programmation que je vais dans un endroit plutôt que pour le lieu en lui-même. Pour les sorties, je privilégie Elektrafrica et les évènements de Nhu vai event. Sinon pour des expos ou des concerts, je vais au Goethe Institut.

Quels sont les projets à venir ?

Nous réfléchissons à la création d’un long-métrage qui ferait intervenir uniquement des personnes âgées sur différentes questions : éducation, féminisme,… Un peu comme des archives des mémoires de ce pays, pour ne pas que les combats de certains tombent dans l’oubli. Nous avons la campagne de l’Art à l’école dont j’ai déjà parlé. On veut aussi mettre en place une webradio, qui s’appellera Radio Mengo : elle proposera plusieurs rubriques comme cinéma, digital, musique noire,… Bien évidement la sortie des albums de Moulaye, Chaly et S’killaz. Et puis, ça c’est plutôt un projet sur le long terme, mais on voudrait créer un festival qui mélangerait pop, électro,…Bref nous avons pas mal d’idées en tête !

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A propos Clémence Cluzel

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