Un carré blond, des lunettes rectangulaires et un large sourire, voilà la silhouette de celle qui veille sur la Maison rose. Dans ce foyer qui recueille les jeunes filles et femmes en détresse, la française Mona Chasserio fait figure de « mère protectrice ». Sa vocation pour aider les autres est devenue quasi mythique.
Un jour, elle quitte tout. Son mari, ses enfants, son boulot dans un laboratoire pharmaceutique. C’était il y a vingt ans déjà. « J’ai eu une ouverture spirituelle et j’ai compris que les médicaments ne suffisaient pas à soulager les personnes. Pour soigner efficacement, il faut remonter à la source : le psychique », explique Mona, dans son bureau de la Maison Rose à Dakar. Changer de vie c’est une chose, se plonger volontairement dans la misère peut paraître insensé. Souvenez-vous, Mona Chasserio, c’est la femme qui a vécu deux années durant avec les « gens de la rue ». « J’ai été la première femme à m’occuper des personnes dans la rue en France. Ces personnes m’ont accepté car je ne les jugeais pas », relate t-elle attendrie. La tragédie des sans-abris, elle en a pris conscience au côté de l’abbé Pierre. « Il m’a transmis un regard sur les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté ».
L’école de la rue
Dans la rue, une seconde réalité la frappe de plein fouet ; celle des femmes. Elle qui a été élevée dans une famille matriarcale bretonne : « neuf femmes à la maison, la femme est donc pour moi le pilier de la société. Quels enfants les femmes sans racines vont elles mettre au monde ? » s’inquiétait-elle. Non Mona n’est pas une illuminée.
En 1992, à l’âge de 43 ans, elle fonde Cœur de femmes, une maison sur le quai d’Austerlitz à Paris qui servait de refuge aux femmes SDF. « Au-delà d’un lieu de vie, je voulais que ces femmes se reconstruisent, se retrouvent elles-mêmes ». « Les femmes que je côtoie ici à la maison rose sont loin de l’enfer auxquelles étaient confrontées les femmes de la rue en France. Drogue, alcool, prostitutions, brûlures, viols à répétition… Cœur de femmes c’était vraiment la cour des miracles. Ce n’était plus des femmes mais des épaves », se remémore Mona.
« De l’inexistence à l’existence »
Pas facile de comprendre des femmes qui ne sont plus que leur propre ombre quand on vivait surprotégée de tout à la Baule. « Il a fallu que j’entende leurs souffrances, que je les aide à accoucher d’elles-mêmes ». Son association fait du bruit. Mona fait l’objet d’un reportage et son travail commence à être reconnu. Sa méthode ? Celle de Théodore Monod : un escalier à cinq marches. « Je disais aux femmes de ne pas brûler les étapes pour arriver de l’inexistence à l’existence. Au fur et à mesure, tu culmines vers la conscience de toi-même. On est vraiment dans le : je suis, je me connais, je sais où je vais. La plupart des gens aujourd’hui se lèvent le matin et se couchent le soir mais ils ne savent pas vraiment pourquoi ils vivent. »
Pourtant, Mona est renvoyée de son association. On lui reproche de se focaliser sur les immigrantes africaines, elle rétorque que sa « forte personnalité avait fini par gêner ». D’abord blessée, elle décide de rebondir ailleurs. Au Sénégal. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, elle fonde une nouvelle structure, Unies Vers’elles. « Avant de tout quitter, j’ai réfléchi sur la question Orient- Occident, ce sera d’ailleurs l’objet de mon prochain ouvrage ». « Dans ce pays il y a une grande tolérance de l’autre, toutes confessions confondues. On peut s’asseoir autour d’une table et dialoguer », se réjouit Mona.
Ici pour renaître
C’est alors dans un ancien tribunal d’instance au cœur des quartiers les plus pauvres de Dakar que Mona pose ses valises. Elle donnera le nom de Maison Rose à l’établissement. Ici, « les filles viennent de partout : de Fouta, de Guinée,… Les viols sont dans les pays monnaie courante ». Entre ces murs sont accueillies des femmes qui rejettent leurs bébés car elles sont elles-mêmes rejetées par leur famille ou violées. Il y a aussi des petites filles dont les mères sont prostituées et qui se font violer dans la rue. « Ici, les femmes restent le temps dont elles ont besoin. Leurs journées sont remplies par des ateliers (yoga, cirque, relaxation, broderie) pour se réapproprier son corps ou faire remonter l’inconscient. Elles sont ici pour renaître ».
Quand on demande le secret à cette femme courage, celle-ci nous répond d’une voix douce : « Quand tu fais ce que je fais aujourd’hui, il ne faut pas que tu sois dans l’émotionnel. Il faut aller au-delà. Dans cet accompagnement, il y a deux personnes qui marchent l’une à côté de l’autre. Aujourd’hui mon but c’est de transmettre cette approche ». Aujourd’hui âgée de plus de soixante-dix ans, Mona va doucement lâcher prise. Pour la suite, elle souhaite écrire un livre avec un intellectuel sénégalais et agrandir la maison rose afin de créer un appartement collectif pour les jeunes femmes sur le départ. « Ce serait une dernière étape avant l’envol ».
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