Une mobilisation internationale contre le mariage des enfants en Afrique de l’Ouest et du Centre se tenait du 23 au 25 octobre 2017 à Dakar. Une grande première, et un signal fort envoyé par les 24 pays présents, décidés à éradiquer cette pratique. Dans cette région où les taux de prévalence sont les plus élevés au monde, le mariage des enfants apparait comme un véritable fléau aux lourdes conséquences. Trois jours de réunion pour réaffirmer une volonté et un engagement commun à faire du mariage des enfants une priorité.
Dans le monde, 15 millions de filles sont mariées chaque année avant leurs 18 ans (selon le FNUAP, Fonds des Nations Unies pour la population). Une pratique monnaie courante en Afrique de l’Ouest et du Centre, où les taux de prévalence y sont les plus forts d’Afrique, mais aussi du monde. 6 des 10 pays les plus touchés par ce fléau sont localisés dans cette région, avec en tête le Niger (76 %). Conscients de l’ampleur du phénomène, et sur une initiative de la Première dame de Sierra Leone, une mobilisation internationale réunissant 24 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), s’est tenue à Dakar du 23 au 25 octobre 2017. Organisé par le Sénégal, sous le patronage du ministère de la Bonne Gouvernance et de la protection de la famille, cet évènement sans précédent réunissait gouvernements, ONG, associations, représentants de la société civile, associations, jeunes, experts mais aussi leaders religieux et chefs communautaires, tous conscients de l’urgence de la situation. « C’est un délit auquel tous les pays africains sont confrontés, il faut agir dans cette région plus qu’ailleurs » a déclaré dans son discours d’ouverture, Mahammad Boun Abdallah Dionne, Premier ministre du Sénégal.
Pauvreté, conflits, honneur, tradition,…
Problématique majeure, le mariage des enfants, c’est-à-dire l’union de toute personne âgée de moins de 18 ans, est interdit par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ainsi que par la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants. Pourtant, dans de nombreux pays de la région, l’âge du mariage est fixé en deçà de 18 ans. Au Sénégal, la limite légale est de 16 ans. Des millions de filles sont encore mariées mineures…Toutes les 7 secondes, une fille de moins de 15 ans est mariée en Afrique de l’Ouest et du Centre (Nations Unies). Des données alarmantes, résultants de causes multiples.
L’extrême pauvreté de la région pousse les familles à marier leur fille le plus tôt possible, particulièrement dans les zones rurales comme par exemple dans les régions de Kolda (68%) et Tambacounda (56%) au Sénégal, alors même que le taux de prévalence du pays est de 33 %. Les filles des ménages les plus pauvres de ces pays sont ainsi trois fois plus susceptibles d’être mariées avant l’âge de 18 ans (UNICEF). « C’est une bouche de moins à nourrir », explique Fatou Binetou Dia du bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’UNICEF, avant d’ajouter, « souvent en échange, les familles reçoivent une bête : une aubaine pour ces ménages extrêmement démunis ». La pauvreté mais surtout la tradition, les normes sociales encouragent les unions à peine pubères, voire pré pubères. « Le mariage très jeune est vu comme un moyen de préserver, de protéger l’enfant afin qu’elle conserve sa virginité, c’est à dire son honneur mais aussi celui de la famille. Cela évite aussi toute grossesse hors-mariage, une véritable honte », détaille Marie-Thérèse Sambau d’ENDA Jeunesse Sénégal. 4 filles sur 10 sont ainsi mariées avant leurs 18 ans et parmi celles-ci, 1 sur 3 est même mariée avant ses 15 ans dans la région d’AOC (Nations Unies). Une coutume parfois justifiée par certains avec la religion, alors même qu’aucun texte sacré ne consacre cette pratique… Faute d’information et d’éducation, celle-ci se perpétue de génération en génération, reproduisant les schémas ancestraux d’une culture patriarcale malgré la mise en danger de la santé des filles.
Dans les pays en crise humanitaire ou en guerre, les filles sont particulièrement exposées : kidnappées, données en monnaie d’échange contre protection, offertes ou mariées tôt afin de les «protéger », elles sont énormément vulnérables, à l’image des lycéennes enlevées par Boko Haram au Nigéria.
Des impacts dévastateurs
Les conséquences du mariage des enfants sont dévastatrices pour les filles, mais elles impactent aussi la société et le développement du pays. Au niveau sanitaire, les effets sont catastrophiques : grossesses précoces (9 naissances précoces sur 10 sont dues à un mariage d’enfants, selon l’UNICEF), taux de mortalité maternelle plus élevé (la grossesse précoce et l’accouchement sont les principales causes de décès chez les filles entre 15 et 19 ans), risques importants d’accoucher de nourrissons morts-nés ou susceptibles de mourir dans les premières semaines de vie (risque 50% plus grand pour les mères de moins de 20 ans selon l’OMS)… Pas encore formées physiquement, ignorant tout de l’activité sexuelle ou du contrôle des naissances, ces fillettes ont également plus de risques de contracter des IST (infections sexuellement transmissibles) ou le SIDA, de développer un cancer du col de l’utérus, d’avoir des incontinences urinaires ou encore des fistules obstétriques. Sans parler des séquelles psychologiques (traumatisme et dépression)…
Physiquement éprouvées, elles sont aussi dans la plupart des cas, réduites à l’espace du foyer. La très grande majorité d’entre elles quitte l’école une fois leur union célébrée. Plus de 13 millions de filles sont en dehors du système scolaire pour toute l’Afrique (Nations Unies). Déscolarisées, elles occupent alors un métier sans qualification, au faible revenu, qui ne leur permet pas de pouvoir sortir de la pauvreté. L’interruption de l’éducation des filles réduit ainsi de 9% les revenus qu’elles peuvent espérer percevoir plus tard dans leur vie. Faute d’autonomie et d’autres options, elles reproduisent ainsi le cycle de la pauvreté.
Le manque d’éducation réduit donc le pouvoir d’achat et le niveau des ménages mais freine aussi considérablement les efforts entrepris pour réduire la pauvreté de l’AOC. Qui dit mariage précoce, dit naissances nombreuses donc explosion démographique. Une situation qui empêche les pays de réaliser leurs dividendes démographiques alors que même que l’AOC enregistre la croissance économique la plus forte du continent… Les pertes à gagner se chiffrent en milliards de dollars pour les états et sapent littéralement les efforts entrepris dans la voie du développement. Un argument économique qui a su parler à l’oreille des dirigeants politiques…
Une volonté commune d’éradiquer ce fléau
Depuis quelques années, certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre font des progrès pour mettre fin à cette pratique. Cet élan s’est notamment traduit en 2014, par l’adoption d’un engagement commun par les chefs d’états de l’Union Africaine. Une campagne pour abolir le mariage des enfants a ainsi été lancée par 18 pays, permettant de donner un cadre commun à la région et instaurant des stratégies nationales. Une dynamique a donc été impulsée. Au Sénégal, la campagne a débuté en juin 2016 : un plan de communication a été élaboré avec l’UNICEF. Il est toujours en cours… «Nous avons créé notre coalition qui regroupe une 20aine d’organismes (ONG et associations) en février 2017 afin de lutter contre ces mariages. Ce rassemblement est l’occasion de rappeler à l’état sénégalais les engagements qu’il a pris et de les concrétiser » glisse Marie-Thérèse Sambau qui attend beaucoup de l’implication étatique. Elle espère bien que le gouvernement sénégalais soutiendra les initiatives dans ce domaine, notamment la mise en place de structures (centres d’accueil,…).
Les progrès sont bien là mais ce n’est pas suffisant. « À moins d’une vraie accélération des progrès enregistrés, il faudra compter plus d’un siècle pour que l’Afrique de l’Ouest et du Centre puisse mettre fin au mariage des enfants, avec des conséquences dramatiques pour des millions de jeunes filles mariées, sans compter l’impact paralysant sur la prospérité de la région » commente Fatou Binetou Dia. Comme le déclamait la ministre de la Bonne gouvernance et de la protection de l’enfance, Ramatoulaye Gueye Diop à la tribune, « Après le temps des palabres, vive celui de l’action » ! Car si les tendances actuelles se poursuivent, près de 50% des jeunes filles mariées seront africaines en 2050 selon l’UNICEF. « Ce meeting est crucial car il va permettre de faire accélérer les actions déjà entreprises pour mettre fin au mariage des enfants dans la région », a annoncé Helle Thorning-Schmidt, représentante des organisations de la société civile. Au sortir de ces trois jours de réunions plusieurs axes se sont détachés. « Nous allons adopter une approche multi-sectorielle, basée sur un consensus entre tous les état participants pour permettre la mise en commun d’actions concrètes. Il faudra également qu’il y ait un suivi rigoureux afin de renforcer l’efficacité des mesures adoptées » a décrété la ministre.
Parmi ces premières mesures : l’harmonisation des lois. « Il faut revoir les textes de loi. Tous les pays de l’AOC doivent avoir la même législation c’est-à-dire que l’âge légal du mariage soit fixé à 18 ans. Dans le cas ou des personnes les enfreindraient, il faut qu’elles soient poursuivies sévèrement en justice. » a réaffirmé la Première dame du Burkina Faso, Sika Bella Kaboré. Autre pilier : l’éducation. Un proverbe toucouleur ne dit-il pas : « Éduquer une fille, c’est éduquer une nation » ? Scolariser – et maintenir à l’école des filles le plus longtemps possible – est l’une des stratégies les plus efficaces pour retarder l’âge du mariage des enfants. Développant des compétences propres, des connaissances, les filles sont aussi plus confiantes en elles, ce qui les rend aptes à prendre des décisions importantes comme décider du moment quand avoir des enfants. Une fille qui reste longtemps à l’école a moins de chances d’être mariée avant l’âge de 18 ans.
Les leaders religieux et communautaires sont aussi particulièrement sollicités et encouragés à s’investir. « Nous sommes très écoutés de par notre position dans la société. Si l’on délivre le message que le mariage des enfants est néfaste, peu à peu la situation va évoluer. C’est difficile mais c’est un travail essentiel » a confié Mohamed Diamanka, imam de Kolda (Sénégal).
Inciter à l’enregistrement des naissances, élaborer des stratégies nationales, renforcer l’implication des jeunes (premiers concernés), mettre en place des plateformes sur les réseaux sociaux (comme au Bénin avec Tolérance Zéro), éduquer à la sexualité, lancer des campagnes de plaidoyer,…sont autant d’actions proposées à l’issu de cette rencontre, et inscrites sur cette feuille de route désormais commune aux 24 pays participants.
Prochain RDV sur cette question cruciale prévu en février 2018 à Kigali (Rwanda). L’occasion de voir si ces déclarations de bonnes intentions ont été confirmées et suivies d’actions ou si elles n’étaient qu’effet d’annonce… Fatou Binetou Dia, elle, est d’ores et déjà persuadée que « les engagements des pays sont encourageants. Cette rencontre de haut niveau peut changer la donne dans la région ! »