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Paysage de la grande muraille verte au Sénégal © A. Spani

“La grande muraille verte”, un projet panafricain trop ambitieux ?

Les 13 et 14 juin 2016 s’est tenue à Dakar la 5ème session ordinaire du Conseil des ministres de l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte (ApGmv) qui oriente un projet d’envergure depuis 2007. Cette initiative environnementale développée par l’Union Africaine (UA) pour faire face à la désertification de la bande sahélienne traversant onze pays africains, s’ancre également dans une dimension économique et sociale, avec des volets éducatifs, pédagogiques et sanitaires.

Paysage de la grande muraille verte au Sénégal © A. Spani
Paysage de la grande muraille verte au Sénégal © A. Spani

Pourquoi un tel projet expérimental ?

L’une des publications officielles de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte intitulée: « Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte, Concepts et mise en œuvre »  co-coordonnée par le professeur Abdoulaye Dia, son secrétaire Exécutif (CEO), faisait état, en 2010, de la situation  :

« Actuellement, plus des 2/3 de la superficie du continent africain sont couverts de zones désertiques ou fortement dégradées. Par ses effets pernicieux et récurrents, la désertification a entraîné une forte dégradation des ressources naturelles, une baisse des productions agricoles, une situation d’insécurité alimentaire et un lourd bilan socio-économique qui impactent très négativement les efforts de développement économique de la plupart des pays de l’espace saharo-sahélien »

Ce projet de « muraille verte », qui s’inscrit dans la lignée de la Convention des Nations Unies pour la Lutte contre la Désertification (1994), vise donc à contrôler la dégradation des sols et la désertification de la bande sahélienne en revalorisant les terres. Comment ? En replantant des arbres de Dakar à Djibouti afin de constituer une ceinture végétale de plus de 7000km de longueur, sur une largeur d’environ 15 km. Les pays participant au projet sont au nombre de 11 : Le Burkina Faso, le Soudan, le Tchad, l’Erythrée, le Mali, le Niger, la Mauritanie, Djibouti, le Nigéria, l’Ethiopie et le Sénégal.

Tracé muraille verte
© Infographie AFP

Néanmoins, la désertification ne signifie pas nécessairement que le désert progresse, mais plutôt que les sols se dégradent de plus en plus en raison du manque de précipitations chaque année. Une situation alarmante soulignée dès 2005 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui estimait que les 11 pays sahélo-sahariens concernés perdraient en moyenne 1,712 million d’hectares de forêts chaque année.

Tableau | Taux annuel de régression du couvert forestier
Source : Situation des forêts du monde, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2005
Source : Situation des forêts du monde, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2005

Un projet créateur d’emplois et de revenus

Pour replanter tous ces hectares de verdure, les chercheurs se sont arrêtés sur différents spécimens de plantes, aux propriétés et caractéristiques bien spécifiques, tenant compte à la fois des capacités d’adaptation et de la résistance des végétaux au milieu sahélien aride (ex : le jujubier, le dattier du désert, les acacias) mais également à l’intérêt et aux usages que la population porte sur ces espèces. Autrement dit, tout en gérant de façon durable les ressources naturelles afin de valoriser la biodiversité les sols, le projet entend également satisfaire les besoins des populations et leurs conditions de vie : D’où l’installation d’infrastructures sociales de base et la promotion d’activités génératrices de revenus. Pour cela, les porteurs du projet effectuent donc non seulement un travail de sensibilisation auprès des populations bénéficiaires – leur adhésion et leur participation étant primordiales pour que cette entreprise soit pérenne – mais tente également de pallier les insuffisances en termes d’éducation, de santé et d’emplois en créant des alternatives viables pour les habitants.

Au Sénégal, la Grande Muraille mesure 545 km de long sur 15 km de large, soit 817.500 Ha répartis dans trois régions (Matam, Louga, Tambacounda) dans lesquelles se trouvent environ 300 000 personnes. Dans ces zones reculées ou les besoins fondamentaux (accès aux soins et à l’éducation) sont généralement insuffisants, le projet de la Grande Muraille Verte aurait permis la création de 75 emplois directs depuis sa création et 1800 emplois indirects chaque année grâce aux pépinières et jardins polyvalents, selon l’Agence nationale sénégalaise rattachée au ministère de l’environnement et du développement durable. Un constat dont témoigne Abdou Salam Sall, recteur de l’UCAD (Dakar) dans la vidéo institutionnelle du CNRS promouvant le projet : « Les eaux et forêts ont confié les pépinières aux femmes en amenant de l’eau. Déjà en vendant des arbustes, ça leur fait des revenus, mais mieux les eaux et forêts les ont initiés au maraîchage, les femmes ont produit des légumes, elles en ont tellement produits que ça dépasse les besoins culinaires, elles en vendent et ça fait de l’épargne et des revenus » 

La sécurité comme frein à l’accomplissement du projet ?

Les principaux freins au bon développement du projet, outre le manque de volonté politique de certains dirigeants, sont d’ordre  sécuritaire, plusieurs régions étant sous l’influence de groupuscules terroristes et/ou sont dans une situation d’instabilité politique durable. En effet, parmi les 11 pays participants, la majorité reste en proie à des défis sécuritaires majeurs, comme le soulignait Robin Duponnois, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) dans une interwiew accordée à Slate Afrique en 2011  : «Le tracé passe dans des endroits assez instables (Mauritanie, Niger, Tchad, Soudan) et des zones de niveau orange et rouge en termes de risques sécuritaires et terroristes. Les scientifiques ne sont donc pas autoriser à s’y rendre, en particulier les étrangers »

Une analyse confirmée en 2015 par Gilles Boetsch, directeur de l’Observatoire Hommes-Milieux international (OHMi) à Téssékéré (Sénégal)  qui affirme dans un entretien accordé à VNI l’e-mag de l’éducation que “le problème de ce grand projet, c’est que mis à part le Sénégal, et dans une moindre mesure la Mauritanie et le Tchad, tous les autres pays concernés sont en crise ! Du point de vue du Sahel, le projet avance donc très doucement et nous sommes encore loin des 7000 km de verdure, censés relier à terme le Sénégal et Djibouti”. Le chercheur signale toutefois toutefois que “l’initiative avance bien au Sénégal”.

 

Carte du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International français, juillet 2016.
Carte du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International français, juillet 2016.

Ces raisons peuvent donc expliquer, en partie, pourquoi plus des 3/4 du tracé n’ont pas encore été réalisés, le Sénégal étant le seul pays à avoir entamé le projet. Au-delà des défis sécuritaires à relever, pour certains spécialistes, dont Marc Bied-Charreton, président du Comité scientifique français de la désertification, la création d’une telle muraille n’était pas réalisable. Dès 2010, il prévenait à l’occasion d’une interview accordée à terraeco.net* qu’il fallait : «protéger l’ensemble des sols et non pas construire des barrières de ce type qui sont vouées à l’échec » rajoutant que « les grands barrages verts ont toujours échoué. L’Algérie s’y est essayée il y a trente ans et les populations n’ont pas adhéré.

Une initiative historiquement peu viable

En effet, il faut rappeler que cette idée n’est pas toute récente puisqu’on retrouve plusieurs tentatives similaires, majoritairement sur le continent africain, mais aussi en Asie. Des « ceintures vertes » ont été mises en place dès 1965 à Niamey (Niger), en Algérie en 1971 avec le « Barrage vert », en 1975 à Nouakchott (Mauritanie), en Chine en 1978 avec la Grande muraille verte avec une fin de chantier prévue en 2074…ou encore en 1985, au sud Niger. Toutes ces tentatives se soldèrent majoritairement  par des échecs. Notons également que l’idée d’un projet d’une telle envergure sur le continent africain fut également soulevée dès les années 1980 par l’ancien chef d’Etat burkinabé Thomas Sankara avant que celle-ci ne soit reprise en juin 2005 par l’ancien président nigérien Olusegun Obasanjo puis baptisée « Grande Muraille Verte » par l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade.

Avec presque 10 ans de recul, et seulement 40 000 hectares de terres reboisées exclusivement sur le sol sénégalais, le bilan de ce projet panafricain d’envergure reste pour l’heure assez peu convaincant.

 

 

 

Sources :

Vidéothèque CNRS, Le Monde, Slate Afrique, Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte, The Guardian, UNESCO, Le Soleil, Ministère de l’Environnement et du Développement durable sénégalais, Le projet majeur africain de la grande muraille verte, Agora VoxFrancetvinfoVNI l’e-mag de l’éducation

* Note : Le site terraeco.net ayant déposé le bilan en 2016, leurs articles ne sont plus disponibles. Par conséquent, les citations de Marc Bied-Charreton proviennent du croisement de deux autres sources (Agora Vox et FranceTvInfo)

A propos Armelle Peuvion-Weiss

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