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Drogues : le Sénégal, zone de trafic, de consommation et de production (1/2)

Remis la semaine du 26 juin 2018, date de la journée mondiale de lutte contre les abus et trafics de drogues, les chiffres de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) font état de nouvelles tendances sur la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest. A l’instar des autres pays de la région, le Sénégal voit sa consommation d’opioïdes exploser, tandis que la consommation de « drogues dures » (cocaïne et héroïne) a tendance elle aussi à augmenter.

« Dans les années 60- 70, la plateforme africaine s’est imposée comme nouveau lieu de passage pour le trafic de drogues. Comme les voies habituelles empruntées pour acheminer la marchandise jusqu’en Europe étaient très surveillées, que de nouvelles villes puis des routes sont sorties de terre, les narcotrafiquants ont changé de stratégie », explique Babacar Diouf, chargé de la réduction de la demande de drogue au sein de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime). Acheminée depuis l’Amérique Latine, la cocaïne transite ainsi par l’Afrique de l’Ouest avant d’atteindre l’Europe. Même schéma pour l’héroïne qui provient surtout d’Asie. Zone de transit au départ, l’Afrique de l’Ouest est peu à peu devenue une région consommatrice.

L’Afrique, un marché émergent

« Tout ne transite pas, une certaine quantité reste aussi ! », souligne l’expert avant d’ajouter que :

« comme l’Afrique de l’Ouest est sur la route du trafic international, un marché local s’est peu à peu créé».

D’autant plus que l’Afrique est un continent jeune, très jeune : 50% de la population a moins de 25 ans. Des consommateurs idéaux pour les trafiquants. Cette démographie galopante, accompagnée d’une urbanisation fulgurante et de l’émergence d’une classe moyenne avec un pouvoir d’achat plus important, constituent un marché émergeant rêvé. Le faible contrôle aux frontières et l’importante corruption présente au sein des différents pays du continent finissent d’en faire un contexte favorable pour les narcotrafiquants.

Le Sénégal, à l’image de tous les autres pays d’Afrique de l’Ouest, est un pays touché par toutes les drogues. On n’en est pas encore à des phénomènes ultra violents mais il y a une pénétration du marché par ces criminels“, a déclaré Pierre Lapaque, représentant régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’ONUDC. Car à l’exception du cannabis produit en majorité localement, toutes les autres drogues sont importées. Il a été noté que les narcotrafiquants, au lieu de payer en liquide, paye en nature (en drogue) à leurs relais africains, ce qui créé également un marché local.

Le lien trafic de drogue-réseaux djihadistes a par ailleurs été démontré. « Certains groupuscules ou milices extrémistes présents dans la région couvrent des territoires et agissent comme des douaniers. Ils peuvent sécuriser certaines routes en nouant des alliances avec des trafiquants afin d’en tirer profit. Il y a également le fait que ces combattants prennent souvent des drogues. Étant eux même consommateurs, le lien trafic de stupéfiants ne fait plus de mystère », analyse le chargé de l’ONUDC.

Zone de transit, de consommation mais aussi de production depuis peu. En effet, des laboratoires clandestins ont récemment été démantelés en Guinée tandis que d’autres sont suspectés dans tous les pays de la sous région. « Des saisies importantes par les douanes sénégalaises de méthamphétamines et d’amphétamines, très prisées par le marché asiatique, laissent penser que des filières de production destinées à l’exportation existent », pointe Babacar Diouf.

Mais qu’achètent ces nouveaux consommateurs d’Afrique de l’Ouest ?

Des substances qui évoluent

Comme dans la majeure partie des pays de la région, la consommation de cannabis existe depuis des siècles. Un climat idéal pour la culture et une consommation inscrite dans certaines zones comme un « usage culturel » (lors de rites initiatiques par exemple), sans compter un faible coût (à partir de 500 fcfa les 4-5 joints locaux) expliquent la forte consommation de cette drogue au Sénégal. Cultivée principalement en Casamance, notamment par les rebelles séparatistes, puis acheminée par les îles du Saloum avant d’arroser Dakar, des plants de cannabis sont aussi disséminés parmi les maraichages de la zone des Niayes (Nord Ouest du Sénégal), une terre très fertile. Le Ghana et le Nigéria, en passant par le Mali, abreuvent également le pays de la teranga d’un produit de meilleure qualité car contenant plus de THC (principale substance active du cannabis) mais dont le coût est plus élevé. Le cannabis était la drogue la plus consommée en 2016, avec 192 millions de personnes l’utilisant au moins une fois au cours de l’année précédente dans le monde. Selon les estimations de l’ONUDC, cette substance est la drogue la plus prisée des jeunes et la plus consommée au Sénégal.

Depuis quelques années, d’autres substances font leur apparition. Dans son rapport 2018, l’ONUDC  pointe la consommation grandissante des opiacés. Beaucoup de médicaments sont ainsi détournés de leur usage initial pour être pris comme drogue. Le dernier produit qui inquiète ? Le tramadol, un opioïde utilisé pour traiter les douleurs modérées à sévères. « Ces médicaments se trouvent sur le marché noir, on parle de médicaments de la rue. On peut aussi les obtenir en pharmacie même sans ordonnance ! », souligne Babacar Diouf. Peu chers (moins de  1 000 fcfa la boite), la dépendance est rapide. L’enquête de l’ONUDC a ainsi révélé que lorsque les troubles liés à l’usage de drogues sont la cause des décès, ce sont les opioïdes qui causent le plus de dommages et représentent 76% de ceux-ci. Les saisies d’opioïdes pharmaceutiques – principalement le tramadol en Afrique de l’Ouest et du Centre, et l’Afrique du Nord  – représentaient 87% du total mondial saisi en 2016. Les pays d’Asie, qui représentaient auparavant plus de la moitié des saisies mondiales, ont déclaré seulement 7% du total global saisi en 2016 (ONUDC).

Les consommations d’héroïne et de cocaïne augmentent également d’année en année. La fabrication mondiale de cocaïne en 2016 a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré, avec une production estimée à 1.410 tonnes. La plus grande partie de la cocaïne provient de Colombie, alors que le rapport montre également que l’Afrique et l’Asie émergent comme centres de trafic et de consommation de cocaïne. Une étude menées sur l’agglomération de Dakar par l’ONUDC en 2011-2012 avait permis de recenser 1 324 usagers de drogues injectables (UDI).

La polytoxicomanie est devenue une problématique majeure soulignée par le rapport de l’ONUDC. Plus à même d’avoir des comportements à risques, les usagers de drogues sont aussi largement touchés par le VIH (Sida), notamment les UDI.

Géographie des zones impactées

L’addiction à ces substances illicites touche toutes les couches de la population. Du fait des prix faibles des drogues, celles-ci sont facilement accessibles. La banlieue de Dakar (Guediawaye, Pikine, Thiaroye) enregistre un nombre important de consommateurs. L’absence d’emploi et d’occupation sont notamment des raisons favorisant l’addiction. Le manque de sensibilisation et d’information ne contribuent pas non plus à changer la donne et chaque année de nouvelles personnes tombent dans le piège de l’addiction.

Mais les consommateurs sont loin de faire tous partis d’un milieu défavorisé. Au contraire, ceux ci sont nombreux à travailler, ont une famille et certain un niveau de vie très confortable.

Autre zone fortement touchée : la Petite côte. Tourisme et ambiance festive font de cette façade maritime un lieu de consommation important. Toutes les drogues y sont consommées, notamment l’héroïne et la cocaïne à l’inverse des zones rurales où se sont le cannabis et les médicaments qui font des ravages.

Un contrôle difficile et un manque d’implication étatique

La pratique étant souterraine et illicite, peu de chiffres sur la problématique existent (aussi bien sur le nombre de consommateurs que sur les importations,..), rendant la mise en place de mesures pour endiguer cette épidémie difficile.

« L’état du Sénégal ne dispose pas d’un programme d’envergure qui s’inscrirait dans la durée et couvrirait tout le territoire »,

regrette Babacar Diouf, qui souligne néanmoins son implication dans des actions temporaires, notamment à l’occasion du 26 juin. Rares sont les pays africains à avoir mis en place un plan pour lutter contre la drogue. Un manque d’action et de volonté qui s’explique notamment par une prise de conscience tardive. Pendant longtemps, cette problématique a été occultée, mise sous le tapis car jugée taboue et honteuse. Le consommateur, loin d’être vu comme un malade était uniquement perçu comme délinquant. Une conception qui perdure toujours de nos jours : le tout répressif en matière de drogues, consommateur et trafiquant confondus, reste la norme. Pierre Lapaque a ainsi exhorté le Sénégal à ne “pas faire la politique de l’autruche”.

 

A propos Clémence Cluzel

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