Tchadien, témoin et victime des actes du gouvernement d’Hissène Habré entre 1985 et 1989, Clément Abaïfouta, Président de l’association des victimes des crimes du régime, souhaite refermer les brèches qui ont divisé son pays afin de préparer un avenir meilleur pour la nouvelle génération.
Sa bataille aura duré 27 ans… Presque trois décennies pour que son témoignage et celui de milliers d’autres tchadiens soit entendu et pris enfin en compte par la justice. Il aura aussi fallu l’intervention de la communauté internationale face au refus du Tchad de juger les responsables des actes de barbaries commis, hormis la condamnation d’une vingtaine d’agents de la police politique d’Hissène Habré (DDS) remis aussitôt en liberté, pour que l’affaire soit finalement jugée.
Alors, aujourd’hui (jeudi 27 avril 2017) c’est un jour glorieux pour Clément Abaïfouta Président de l’association des victimes des crimes du régime Hissène Habré, venu à Dakar pour le procès en appel de l’ancien Président tchadien. La peine à perpétuité du dictateur pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de torture a été de nouveau confirmée. C’est historique : pour la 1ere fois, un ancien chef d’état africain est jugé.
La joie succède à des années sombres, emplies de revirements judiciaires et de batailles éprouvantes afin que la vérité sur le régime Habré, aussi douloureuse soit-elle, soit connue de tous.
Cette vérité sur ces horreurs, Clément Abaïfouta est l’une des premières victimes à vouloir la faire connaître. En 1991, il est sollicité par une commission d’enquête nationale sur les crimes d’Hissène Habré. Les informations qu’il livrera serviront à la localisation des charniers.
Son calvaire débute la veille de son départ pour l’Allemagne où il devait étudier les lettres modernes grâce à une bourse privée. Ce soir là, le 13 juillet 1985, il est emmené au poste de police pour un interrogatoire de quinze minutes. Il en ressortira quatre ans plus tard, brisé et l’avenir incertain. La raison de sa détention ? Il ne la connaît pas lui-même. Il se demande encore pourquoi un étudiant boursier aurait-il dérangé Hissène Habré au sommet de sa gouvernance… Peut-être était-ce en relation avec son oncle, Facho Balaam, leader de l’Union nationale démocratique (UND), un mouvement opposé au régime de l’époque, chez qui il a vécu quelques temps.
Entre 1985 et 1989, il est détenu dans la plus grande prison du régime à N’Djamena, où ses geôliers lui confient la tâche de fossoyeur. Chaque jour, il doit enterrer les victimes du régime Habré dans « la plaine des morts », comme il l’appelle (la zone d’Hamral-Goz, au nord-ouest de la capitale). Non seulement victime, il devient aussi témoin des horreurs commises par la DDS.
À sa libération en 1989, on lui fait jurer de ne rien révéler sur ce qu’il a pu voir ou entendre sous peine d’être à nouveau arrêté. Traumatisé par ce qu’il vient de vivre et frustré de ne pouvoir rien dire, Clément Abaïfouta choisit malgré tout de libérer sa parole. Cela lui vaudra plusieurs arrestations.
À la fin des années 90, il s’engage auprès de l’association des victimes des crimes et des répressions politiques (AVCRP) afin que la justice reconnaisse les victimes et que l’ancien Président du Tchad soit jugé pour les actes commis. En 2008, il fonde sa propre organisation, l’association des victimes de crimes du régime Hissène Habré (AVCRHH) dont il est aujourd’hui le Président.
Le procès était très attendu et important pour les victimes du régime ainsi que pour tous les Tchadiens. Cette condamnation est un signal fort envoyé au Tchad mais plus généralement à tous les dirigeants africains : un message qui indique que le temps de l’impunité n’est plus et que plus personne n’est au dessus des lois.
Clément Afaïtouba était très satisfait et enthousiaste quant au dénouement judiciaire. Mais pour lui, son combat n’est pas terminé. Il souhaite aider son pays à se réconcilier avec lui même et préconise un devoir mémoriel afin que la nouvelle génération sache exactement tout ce qu’il a pu se passer à cette époque là, et puisse tourner la page. Il veut aussi, dit-il, empêcher le pourrissement de la société, qui, ces derniers temps connaît de nombreux soubresauts économiques et des mouvements sociaux de grandes ampleur qui déstabilisent le pays.
Pendant 26 ans, comme il aime à paraphraser Albert Camus, il « a vécu comme s’il ne devait jamais mourir ». Aujourd’hui, malgré sa détermination sans faille, il est empreint d’un sentiment de peur. Il craint pour sa sécurité, pour sa famille et est effrayé à l’idée que tout le travail qu’il a accompli à travers son association soit détruit. Effrayé par un gouvernement qui ne réagit pas quant aux procès d’agents de la DDS et qui en son sein abrite encore des sbires d’Hissène Habré.
Une victoire en demi teinte pour le Tchad qui doit encore panser ses plaies et regarder vers l’avenir.