Le OFF de la Biennale de Dakar, propose une multitude d’évènements dans tout Dakar jusqu’au 2 juin. Parmi eux, la très percutante et très réussie exposition “Pères” de la photographe espagnole Marta Moreiras. Les clichés, qui interrogent sur la place des pères dans la société sénégalaise, mettent en lumière des pères portant à l’africaine, c’est-à-dire sur leur dos, leur progéniture. Un projet artistique qui questionne le genre et bouscule les idées préconçues. Faites vite, plus que quelques jours avant le décrochage !
Tout est parti d’un constat : après avoir visionné ses archives photos, la photographe espagnole Marta Moreiras, se rend compte qu’elle possède « des milliers de photos de mamans africaines avec leur bébé dans le dos, mais aucune d’un homme dans la même situation ». Image iconique, cette représentation de la maternité sur le continent est bien souvent connue de tous, y compris des personnes n’ayant jamais mis un pied en Afrique. « J’ai réalisé que je contribuais à perpétuer ces stéréotypes malgré moi. J’ai donc voulu changer cela en cassant ces clichés » explique celle qui travaille depuis 3 ans sur la question du genre et de l’égalité des droits. La jeune femme, installée depuis 2015 au Sénégal après une première venue en 2008 à Dakar dans un cadre professionnel, débute le projet photographique “Pères” en décembre 2017-janvier 2018. Le problème d’image et de représentation des hommes interroge sur leur place en tant que pères. Elle espère ainsi montrer l’évolution de la société et des comportements, les pères s’impliquant de plus en plus dans l’éducation de leurs enfants, particulièrement en ville où bien souvent les deux parents travaillent. De plus, lassée d’aborder continuellement la question de l’égalité des droits suivant l’angle de l’autonomisation des femmes, ses photos prennent la problématique d’un autre point de vue :
« Où sont les hommes dans cette problématique ? Ils sont souvent oubliés. Or je pense qu’il est essentiel de les inclure en les éduquant. Car sans changement de leur part, rien ne sera possible, les schémas se reproduiront sans cesse malgré la bonne volonté des femmes. Cela créera même de la frustration »
argumente la photographe.
«Plusieurs hommes portent leur enfant de cette manière (dans le dos) chez eux », relate t elle, mais à cause d’une société très codifiée, avec des rôles bien définis pour chaque sexe, « il est hors de question pour eux de sortir dans la rue ainsi. Ils portent toujours leur enfant dans les bras ». La convention sociale range ainsi ce comportement dans la case « truc de femme ». Une catégorisation qui fait naitre la rébellion chez Marta Moreiras et la confirme dans son projet. Elle commence par interroger son cercle amical, puis l’élargit. De là vont naitre des entretiens avec les pères et les mères : un travail de recherche qui aboutit à des vidéos. Partants pour se faire photographier dans l’espace familial, les pères sont plus réticents quand Marta leur expose son projet : les photographier dans leur quartier au cours d’une petite balade. « Je ne voulais pas juste les faire poser dans la rue. Le but était de leur faire expérimenter ce que vit une mère, qu’ils se déplacent avec le bébé », insiste celle qui a fait des études en journalisme audiovisuel et communication en Espagne avant de poursuivre avec un master en photojournalisme et photo documentaire à Londres.
Les réactions des papas ne se font pas attendre : « Qu’est ce que les gens vont penser ? », « Tout le monde va rire, c’est un truc de femme », « Je suis connu moi ici ! ». Insécurité et préoccupations finissent par laisser place à la curiosité. Ils se rendent très vite compte de la difficulté de la pratique : « Parmi les papas, 3 avaient l’habitude donc ils savaient comme nouer le linge pour ne pas que le bébé tombe. Pour les autres, ils craignaient que le petit ne tombe ! », rigole l’Espagnole. Autre constat : le poids de l’enfant. Un poids réel mais aussi symbolique, représentant toute la charge que signifie assumer un enfant.
Afin de montrer toute la mixité et le métissage de la société sénégalaise, “Pères” met en avant des Sénégalais de toutes classes sociales, ethnies, religions, et quartiers de Dakar confondus ou encore les enfants métis. Médina, Mermoz, Zone B à Amitié, Cité Mixta à côté de Parcelles Assainies, Liberté 6 ou encore Grand Dakar, les pères ont ainsi été photographiés dans leur quartier de résidence. La démarche a été très bien accueillie, en témoignent les réactions des passants : « Les pères étaient applaudis, encouragés. Les retours étaient très positifs. Certaines femmes, perturbées, ont aussi proposé de porter le bébé à la place du père et demandé où était la maman ! » s’amuse Marta.
« Cette image n’existait pas d’où la difficulté de créer quelque chose d’inconnu et percutant. Il fallait interpeller pour entrainer une réflexion, un débat nécessaire. Il y a une démarche réfléchie derrière cette série de clichés puisqu’elle soutient l’égalité des genres sans volonté d’offenser mais en provoquant par le biais de l’humour »
argumente celle qui pense qu’une photographie peut transmettre un message dépassant toutes les barrières (langues, religions, races) et entrainer le changement.
Signe de cette envie d’interpeller : le lieu d’exposition de ces bâches imprimées en Espagne pour des raisons économiques et de qualité. Exposées sur le parcours sportif de la Corniche, Marta Moreiras visait ce public majoritairement masculin et jeune, exhibant leurs muscles saillants synonymes de leur virilité, pour casser les stéréotypes et ouvrir une petite fenêtre « car ils ont la capacité de faire changer les choses ». La photographe souhaitait que l’exposition soit accessible au plus grand nombre dans le sens où il s’agit d’un sujet sociétal qui touche directement la population, plutôt qu’un public habitué des galeries. Suite aux conditions climatiques, l’exposition a ensuite été délocalisée sur la corniche Ouest, sur les murs de l’Ambassade d’Espagne, partenaire financier au même titre de l’AECID (Agence espagnole de coopération internationale pour le développement au Sénégal), Cultura Dakar et l’Instituto Cervantes ou encore EUNIC (European Union National Institutes for Culture).
« Certaines mamans n’étaient pas au courant que leur mari avait participé à ce projet. Elles ont été ravies de cette découverte ! » souligne la dakaroise d’adoption qui ajoute que les papas ayant participé à “Pères” sont convaincus et prêts à retenter l’expérience plus fréquemment. Un signe fort de leur engagement pour que les femmes puissent prendre leur place dans la société en les aidant avec les enfants. Un message que Marta Moreiras espère bien faire circuler dans tout le Sénégal avec une tournée de l’exposition prévue à Saint Louis, Kolda, etc. mais aussi dans toute l’Afrique de l’Ouest. “Pères” devrait aussi être accompagné par les interviews filmées réalisées en préalable du projet.