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Les serviettes hygiéniques réutilisables ApiAfrique@C.Cluzel

« Changeons les règles » : une initiative pour briser les tabous autour des menstruations

En cette journée mondiale de l’hygiène menstruelle, décrétée le 28 mai, il est plus que jamais nécessaire de bousculer les idées reçues et sensibiliser les femmes, mais aussi les hommes, à cette problématique de santé publique que représentent les menstruations. Un sujet qui concerne la moitié de la population et affecte tous les domaines de la société mais qui malgré tout continue de rester tabou à travers le monde, notamment au Sénégal. Le programme Femin’in « Changeons les règles », lancé en novembre par plusieurs acteurs du secteur privé et associatif, entend bien faire bouger les choses pour que les règles ne soient plus une honte ! #NoMoreLimits

« Maintenant que tu as eu tes règles, ne t’approches plus des garçons ! » Cette injonction combien de jeunes filles sénégalaises l’ont entendue juste après qu’elles aient eu leur ménarche (la première fois qu’une fille a ses règles) ? Une menace qui plane, et surtout une crainte, balancée en guise de seule information à de très nombreuses jeunes filles, désemparées face à ce chamboulement physique et psychologique. Milieu rural ou périurbain, les conclusions sont les mêmes. Suite à deux études menées en 2016 et 2017 à Pikine et Guédiawaye par Speak Up Africa, une organisation de mise en œuvre d’actions de plaidoyer en faveur du développement durable, 9 personnes sur 10 ignorent l’origine et les facteurs explicatifs des règles. Un manque d’informations criant qui génère peur et gêne chez les jeunes filles. 83.56% des jeunes filles et femmes de ces enquêtes avouent ainsi qu’elles n’étaient pas bien préparées pour accueillir leurs règles avec sérénité.

Croyances et fausses informations

Lié à l’intimité, le sujet est totalement tabou en cela qu’il touche à la sexualité : en filigrane des règles, c’est la possibilité d’une vie sexuelle et surtout d’une grossesse qui se dessine. Hors dans un pays où le religieux et les codes sociétaux régissent les rapports et comportements, les femmes subissent de très nombreuses restrictions.

« On insiste plus sur la virginité que sur la question des règles ! »

s’exclame le Dr Abdoulaye Diop, gynécologue obstétricien à la clinique NEST. L’idée de l’impureté de ce sang qui s’écoule, pourtant absolument naturel et loin d’être sale, reste ancré dans les esprits. Interdiction de prier, d’avoir des relations sexuelles, de laver le linge,…autant d’actions prohibées pour les femmes qui ont leurs menstruations. Avoir ses règles devient une honte. Un rejet en bloc qui n’aide pas à créer le dialogue et la discussion. Les jeunes filles se débrouillent souvent seules avec ce nouvel état traumatisant car inconnu et bien souvent ne trouvent pas de réponse à leurs questions : « que dois je faire ? », « suis-je normale ? »,… autant d’interrogations qui créent honte et méconnaissance.

Pour obtenir quelques conseils, certaines peuvent compter sur une maman ( 37.25% des informations obtenues sur le sujet), une sœur (26.32%), des amies (22.18%) ou encore une grand mère (7.83%). Le cadre familial reste donc la principale source pour acquérir des connaissances. Mais encore faut il que les informations transmises soient les bonnes… Beaucoup de celles ci contribuent à véhiculer de fausses idées, le meilleur moyen de faire perdurer les mythes. Le « rite de la passoire » est ainsi toujours réalisé par certaines femmes : le nombre de trous choisis par une jeune fille, ignorant totalement l’objet de la manœuvre, déterminerait le nombre de jours durant lesquels ses règles dureront. « Beaucoup pensent que les médicaments pour soulager les douleurs des règles rendraient stériles ou encore, il y a cette idée populaire que c’est normal d’avoir mal pendant ses règles » relate le médecin chef de la clinique, qui rappelle que ces symptômes, loin d’être habituels, peuvent être le signe de graves troubles. Les amulettes sont aussi supposées protéger, au choix, des douleurs ou des garçons.

Absentéisme et perte d’autonomie

Ces douleurs justement sont la cause de nombreux jours d’absence chez les écolières. En Afrique, une fille sur 10 cesse d’aller à l’école pendant ses règles : manque d’accès à des sanitaires, douleurs ou tout simplement peur d’une fuite, tous les mois les absences s’accumulent. Cette « semaine de la honte » a des conséquences  dommageables sur leur éducation et donc leur futur. Il en va de même pour les employées, aussi bien des entreprises privées que publiques : elles manquent en moyenne 2.5 jours par mois. 80.38% d’entre elles préfèrent même ramener à la maison leurs protections périodiques… (Speak Up Africa). Un manque économique énorme qui contribue un peu plus à réduire leur autonomie.

©C.Cluzel

Une problématique sanitaire de premier plan

Un problème très profond qui pose aussi d’importants questionnements au niveau sanitaire. Tout d’abord sur la santé des femmes. Les plus pauvres utilisent en guise de protection du linge (vêtement déchiré, chiffon,..) ou bien des serviettes de mauvaise qualité, souvent en matière recyclée : les infections sont nombreuses. Même si globalement la gestion de l’hygiène menstruelle (GHM) est plutôt bonne, se laver les mains avant de changer de protection par exemple, toutes les précautions ne sont pas toujours suivies par manque de connaissance mais aussi d’accès à l’eau ou à des sanitaires avec poubelles, entre autre.  Sans parler de celles qui conservent leur protection toute la journée faute de moyens…

Autre problématique sanitaire de priorité : l’assainissement. Chaque année dans le monde, plus de 20 millions de serviettes et tampons atterrissent dans les décharges. En Afrique, et au Sénégal, il n’est pas rare que certaines se débarrassent de leurs serviette dans la rue, dans la mer ou dans les toilettes avec toujours cette idée de vouloir « cacher ». Sachant le temps nécessaire à la dégradation d’une matière plastique dans la nature, nul besoin de préciser que ces pratiques sont un désastre écologique.

Briser les tabous sur la question

Réalisant les lacunes sur cette problématique qui concerne pourtant la moitié de la population sénégalaise, l’entreprise ApiAfrique et la plateforme Yaay, accompagnée par le Dr Diop et Speak Up Africa, décident de lancer le programme « Changeons les règles ! » en novembre 2017.

« Il y avait un important besoin d’information et d’accompagnement. Les croyances et les tabous sur les menstruations limitent trop les femmes et contribuent à leur perte d’autonomie »

rapporte Marina Gning, l’une des cofondatrices d’ApiAfrique. Cette entreprise créée par un couple franco sénégalais est basée à Ngaparou. Au départ, Abdoulaye et Marina Gning confectionnent des couches lavables pour bébés. Mais très vite, ils se rendent compte qu’une autre demande existe : celle des serviettes hygiéniques réutilisables. 86.5% des Sénégalaises utilisent en effet des serviettes hygiéniques comme protection. Le moyen le plus économique certes mais qui devient vite coûteux.  «Les règles représentent 2 à 3 000 jours de la vie d’une femme » souligne Marina. Selon l’ONU Femmes, les Sénégalaises dépensent en moyenne 1 248 Fcfa par mois pour leurs produits d’hygiène menstruelle. Une somme considérable pour les ménages les plus défavorisés. ApiAfrique se lance donc dans la confection de ces serviettes écologiques et économiques : avec un prix de 3 000Fcfa pour une utilisation jusqu’à 2 ans, ces serviettes sont huit fois moins chères que les jetables. « Ici, toutes les femmes lavent leurs serviettes avant de les jeter, par peur des maraboutages (avec le sang). Autant qu’elles en lavent une qui puisse être réutilisable et saine! » souligne t elle.

Une première étape pour aider les femmes dans la gestion de leur menstruation, mais pas suffisant pour elle. « Il fallait aller à la source du problème. Pas seulement proposer des solutions de secours mais bien essayer de changer le postulat de départ » insiste cette maman de deux filles. Avec Seynabou Thiam, la créatrice de Yaay (« maman » en wolof), une plateforme d’entraide sur le web dédiée aux mamans actives, elles se lancent. « Nous avons intégré au site de Yaay un onglet « Femin’in » : il héberge des vidéos, des articles pourtant sur le sujet des règles, toutes réalisées par le Dr Diop » détaille cette dernière.

Mais là encore, ce n’est pas suffisant pour ces deux femmes dynamiques et pleines d’idées.

« Pour briser cette culture du silence, il était important qu’on mette en place des ateliers de sensibilisation, des journées d’échanges mère fille, des interventions dans des écoles,… »

, détaille Seynabou Thiam. Speak Up Africa a ainsi notamment mis en place des sessions d’information pour les professeurs d’écoles primaires afin d’aider ceux-ci à mieux accompagner leurs élèves. Sensibles aux technologies de l’information et de la communication, elles utilisent les réseaux sociaux (Facebook)  pour véhiculer leur message. Une application mobile est aussi en cours de développement. « Toujours dans une approche pédagogique, avec une logique d’accompagnement, nous voulons informer les femmes et les jeunes filles, les aider à connaitre leur corps et donc à ne pas subir leur condition de femme » explique la cogérante d’ApiAfrique. Un livret explicatif et une trousse 1eres règles (comportant des serviettes réutilisables et ce livret) ont été pensé pour accompagner les jeunes filles. « Les règles ne doivent plus être vues comme une tare, une maladie honteuse car cela impacte sur le regard que les jeunes filles portent sur elles et met à mal leur confiance en elles», répète Seynabou.

Trousse 1eres règles @C.Cluzel

Pour stopper cette stigmatisation autour des menstruations à l’origine de nombreuses inégalités sociales, économiques et sanitaires, de nombreux obstacles restent à franchir mais peu à peu, notamment grâce à ce genre d’initiatives, les comportements tendent aussi à évoluer. Un signe encourageant !

Il existe un numéro vert, Lydia conseil, où des sages femmes répondent aux questions portant sur la santé et la sexualité : 800 00 96 96

A propos Clémence Cluzel

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