La presse sénégalaise satirique connait depuis peu un renouveau grâce au magazine “Le p’tit railleur sénégalais”, un hebdomadaire qui mêle caricatures bien senties et chroniques à la plume acérée. L’ironie et le rire, prétextes pour bousculer les mentalités, sont les armes préférées de son rédacteur en chef, Ibou Fall.
Depuis l’indépendance du Sénégal, la presse satirique, autrefois très virulente, connaissait un essoufflement. Malgré les nombreuses tentatives pour créer des journaux dignes de cet héritage, ces feux follets se sont bien vite éteints… Relancer un titre dans la même veine paraissait donc risqué, pour ne pas dire suicidaire. Mais Ibou Fall, roi de la satire, s’est lancé dans ce pari osé. Le 11 nombre 2013 naissait ainsi, la version 0 de son « trentomadaire » satirique, “Le p’tit railleur sénégalais“.
« La publication de mon 5eme ouvrage des “Sénégalaiseries” (instantanées de la vie quotidienne sénégalaise, NDLR) m’a servit de prétexte au lancement du numéro test du “P’tit railleur sénégalais”. Nous l’avons distribué gratuitement et le retour a été positif », explique le journaliste et fondateur du média, qui fonctionne comme une association.
D’abord en dilettante et de façon irrégulière, la publication devient finalement hebdomadaire en novembre 2016. La nouvelle formule, plus colorée, voit le jour grâce au soutien financier de l’organisme OSIWA (qui finance des projets de développement dans 10 pays d’Afrique). Avec les dons perçus, les frais d’impression ont ainsi pu être réglés pour 1 an.
Un journal au ton féroce
L’équipe d’une dizaine de rédacteurs bénévoles et de dessinateurs de presse, dissèque avec ironie et férocité tous les travers de la société sénégalaise. Un traitement de l’actualité peu commun, qui bouscule et interpelle. Et qui surtout n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat ! « On aborde des sujets qui fâchent, religion et politique en tête, sans prendre de pincettes. D’où notre phrase d’accroche : “l’hebdo qui se fie à votre intelligence”. Nous faisons confiance aux lecteurs pour qu’ils fassent la part des choses et qu’ils ne s’arrêtent pas au 1er degré », détaille le cinquantenaire toujours partant pour rire. Une approche humoristique, sous forme de boutade, qui cache cependant un fond, lui, toujours sérieux.
«société, politique, sport, cuisine, sexe,… Ce qui est important c’est la façon dont on traite les sujets. On parle de tout du moment que cela est fait avec humour et écrit intelligemment. C’est notre seule exigence ! »,
insiste-t-il. Il se désole d’ailleurs de la baisse de qualité de l’écriture ces dernières années, incriminant un nivellement par le bas de l’éducation notamment dû à un encadrement qui laisse parfois à désirer.
Un besoin de se défouler et de se moquer de l’absurdité de l’Homme. «La société veut imposer des limites. Notre fonction est de faire reculer celles-ci et lutter contre le raidissement de la pensée. Si on aborde ces sujets en chahutant cela permet de mettre sur la place publique des questions taboues comme par exemple les marabouts ou l’homosexualité », argumente-t-il.
« Un poil à gratter de l’opinion », défenseur de la liberté d’expression
Et cette liberté de ton, comment est-elle perçue dans un pays quelque fois conservateur ? « Bien sûr certaines chroniques ne plaisent pas. Nous faisons face parfois à un mur d’incompréhension, avec des attaques mesquines et basses. Mais heureusement, il y a aussi pas mal de gens qui sont amusés par nos écrits et dessins ! », dit-il avant d’ajouter, bravache :
« C’est rassurant de ne pas plaire à tout le monde, ce n’est pas notre but. Nous voulons être le poil à gratter de l’opinion, notre but est de déranger. Et pour ça nous n’avons pas peur de nous faire des ennemis ! ».
Malgré la férocité de certaines des attaques, le journal n’a jamais eu à répondre devant la justice de ses écrits. Surement protégé par sa publication plutôt confidentielle (le journal est distribué dans les kiosques à environ 1 500exemplaires/mois). Pour le journaliste, « nous vivons en démocratie donc la liberté d’expression et la remise en question sont des droits essentiels. »
« Nous somme un journal de divertissement et d’information mais aussi d’opinion car la satire n’est jamais neutre, elle va chercher les paradoxes. La mission du “P’tit railleur sénégalais” est de bousculer, de titiller», martèle Ibou Fall. Les illustrations, jamais innocentes et souvent caustiques, servent ce même but.
Le roi de la satire
Cet attrait pour la satire, le journaliste autodidacte le doit à la lecture de BD durant son enfance : « Mes 1eres lectures étaient des Astérix, des Goscinny. C’est une forme de satire car il y a une double lecture selon que l’on soit enfant ou adulte ». Ce fan du “Canard Enchaîné” défend l’idée selon laquelle on peut rire de tout, « surtout quand il s’agit de sujets qui nous touchent, cela permet de dédramatiser. J’aime cette manière de déformer la réalité par le prisme de l’humour ».
Après s’être essayé sans succès à des études de philosophie et de lettres, Ibou Fall enchaine les petits boulots avant de finalement rentrer dans le monde du journalisme en 1984 lorsqu’il devient correcteur pour le bi-mensuel « Sopi » (lancé par Abdoulaye Wade). « Un jour, j’ai rédigé un billet. Il a du plaire car à partir de là, j’ai commencé à écrire et je suis devenu journaliste » détaille t’il. Ibou Fall, plume truculente et irrévérencieuse, a depuis créé plusieurs titres de presse, tout en publiant en parallèle dès 1933 son 1er tome de sa série “Les Sénégalaiseries”. 4 autres tomes suivront. Entre rachats et échecs professionnels, le journaliste repart toujours plus motivé dans de nouveaux projets : « J’ai beaucoup de ressort ! » plaisante-t-il.
Il aura d’ailleurs besoin de cette capacité à savoir rebondir dans les mois prochains. L’hebdomadaire satirique connait en effet une période d’incertitude : l’équipe de rédaction l’accuse de mauvaise gestion des dons reçus. L’affaire est toujours en cours et la parution gelée depuis décembre. Ibou Fall espère bien récupérer son titre et continuer à bousculer les mentalités avec son “P’tit railleur sénégalais” facétieux et mordant.
Le p’tit railleur sénégalais, 1 000Fcfa, dans les kiosques et librairies.