Parmi l’offre pléthorique qu’offre le OFF de la Biennale, la rédaction a pu faire l’expérience d’un parcours artistique disséminé dans plusieurs maisons de Médina : Dakar Brut. Cette promenade à ciel ouvert conviait les curieux à la découverte d’artistes aux univers et supports différents (photographie, peinture, design, sculpture). Une invitation aussi à (re)découvrir ce quartier riche en énergie, histoires et talents. A l’origine de cette initiative, l’association “Yataal Art” qui cherche à éveiller, sensibiliser et impliquer les locaux à la production artistique. Retour sur cette manifestation, aujourd’hui clôturée, qui s’inscrivait en marge du Dak’art 2018.
Rendez vous était donné le jeudi 10 mai 2018 devant les locaux de l’ancien SenTV, dans le quartier populaire de Médina. Au programme de ce milieu d’après midi ensoleillé? Une exposition itinérante au sein du secteur Damels, à la découverte de quatre artistes locaux (ou évoluant localement). Une photographe (Emma Petroni), un designer (Père Djim), un peintre dessinateur (Pape Diop) ainsi qu’un artiste polyvalent travaillant la sculpture comme la peinture (Buur Medina) invitaient les curieux visiteurs à venir franchir le seuil des maisons traditionnelles où chacun exposait : logement personnel, atelier ou habitation transformée en galerie pour l’occasion ont ainsi accueilli une petite colonie de spectateurs ce jeudi férié. Quatre maisons, quatre artistes, quatre domaines d’activités pour illustrer la diversité de ce quartier qui regorge de talents mais aussi pour mettre en avant les multiples supports de la production artistique.
Une promenade artistique
La déambulation a débuté par la découverte de l’atelier d’Abdoulaye Camara, renommé Père Djim du fait de son rôle de sage. Originaire du quartier, le grand–père conserve un lien fort avec ce dernier même après des expériences à l’étranger. Il préfère toujours ce « chez lui » qui l’inspire. C’est ici qu’il a eu l’idée qui a changé sa vie. Ancien tôlier–soudeur, il décide de devenir designer après qu’un ami lui donne pour mission de vendre des cornes de vaches. « A mon réveil, je me suis mis à dessiner des croquis incluant celles–ci », explique cet artiste autodidacte. Depuis 30 ans, il réalise ainsi du mobilier et des bijoux avec des cornes et des peaux de mouton. Bien visibles lorsque l’on passe sur la corniche en remontant vers Soumbédioune, les créations de Père Djim n’avaient pour autant jamais été exposées. « Je suis très heureux qu’il y ait tant de monde intéressé par cette proposition artistique. L’art est un moyen d’ouverture et doit faciliter le vivre ensemble.Tout le monde doit pouvoir y avoir accès » insiste–t il.
Puis vient l’exposition de Pape Diop, un artiste totalement dédié à sa passion, certains le diront d’ailleurs fou, qui a fait de Médina son terrain de jeu. Les murs, sols, le bois sont ses toiles, ses supports d’expression où il peint et dessine en recyclant ce qu’il trouve : charbon, huile de moteur, tanin de café, mégots de cigarettes, pierres. Errant sans cesse, de jour comme de nuit, il trouve l’inspiration dans ce tumulte urbain et produit un art brut.
Après s’être baladé dans les ruelles, nous pénétrons dans le 3eme lieu : une ancienne maison coloniale où la cour ombragée par une tonnelle de végétation nous laisse découvrir une architecture presque oubliée, remplacée ces dernières années par la folie des immeubles. Dans celle-ci, Buur Medina, le roi de la Médina comme il est surnommé, nous attend. Sculpteur, céramiste et poète, ce diplômé des Beaux arts de Dakar ne manque pas de verve et adore faire le show !
Ses œuvres sont toujours très influencées par la religion et le spiritualisme : tantôt il grave sur de la pierre (symbole de transmission) les 99 noms d’Allah, réalise une pièce en miroir (pour faire l’expérience de l’altérité), tantôt il créer un « Trône de l’eau », une chaise constituée à partir de tuyaux et de robinets, en référence à une sourate du Coran (« Le trône de Dieu repose sur l’eau, et de l’eau Il a rendu toute chose vivante »). Spécificité de cette année, la Biennale coïncide avec le début du ramadan, une dimension spirituelle qui convient tout à fait à l’artiste qui encourage à renouer avec celle-ci.
Enfin, pour terminer ce parcours, la maison de Babacar Rafet expose les clichés d’Emma Petroni, seule artiste non–originaire du quartier. A travers ceux-ci, elle pose son regard sur le quotidien et le désordre urbain de Damels en se concentrant sur cet environnement, et plus particulièrement sur l’architecture traditionnelle et coloniale du quartier.
Éveiller à l’art et découvrir la richesse de Médina
Cet évènement, c’est le collectif Yataal Art qui en est à l’initiative. Basé dans le quartier de Médina, Yataal Art “élargir l’art” en wolof) s’applique au quotidien, par la mise en place d’ateliers et de formations, à travers des collaborations avec des artistes internationaux et locaux, par la création de manifestations culturelles, à sensibiliser et initier les habitants de Médina à l’Art. « Il s’agit de les faire devenir acteurs en stimulant leur créativité. De créer un dialogue intergénérationnel, qu’ils s’approprient les rues pour en faire quelque chose de créatif, de beau » détaille Mamadou Boy Diallo, plus connu sous le surnom de Patin à roulettes, l’un des créateurs de l’association. Une sensibilisation, notamment de la jeunesse, pour générer une prise de conscience et entrainer une démarche créative.
Dakar Brut s’inscrit ainsi dans l’événement global “Medin’art” : un ensemble de plusieurs événements du OFF, mêlant street art, photographie, art brut, live painting et déambulation artistique, ayant eu lieu toujours dans le secteur Damels. En plus de donner une visibilité aux artistes du quartier, Dakar Brut, et plus généralement Medin’art, souhaite aussi faire découvrir un quartier populaire plein de vie, riche d’histoires et de mythes, et fort de propositions. Médina est en effet un lieu de convergence culturelle. Un lieu où la cohésion sociale et religieuse est très forte et imprègne chaque instant du quotidien.
« L’idée était de décentraliser l’art et de le mettre à portée de tous, dans la réalité du quotidien »
insiste Patin à roulettes avant d’ajouter « Nous voulions faire un art différent de celui qui est exposé dans les galeries, qui concerne bien souvent uniquement les gens qui ont les moyens ou en tout cas une certaine catégorie sociale. On désirait importer les événements dans les maisons pour que tout le monde puisse venir visiter. » Une volonté de rendre le quartier et son histoire populaire, accessible à tous et en particulier aux habitants de Damels qui, habitué à évoluer dans le quartier ne regardent plus ce décor et ses richesses. Un moyen aussi de les pousser à s’approprier les lieux afin qu’ils soient sensibilisés et puissent s’investir dans leur sauvegarde.
Constituer des archives du quartier
A terme, Patin à roulettes espère que tous les habitants de Damels pourront ouvrir leur maison aux visiteurs dans une démarche d’archivage et de sauvegarde de ce patrimoine. «J’aimerais que chacun expose ses archives personnelles (photos, dessins, carte postales,…) au sein de son logement afin de constituer la mémoire de ce quartier. Pour l’instant nous avons débuté avec 4 maisons, mais le but est d’élargir le projet. Celui-ci s’inscrit aussi dans une volonté de restauration des habitations, bien souvent délabrées. C’est important de défendre ce patrimoine contre les constructions d’immeubles qui grignotent tout le paysage urbain » souligne–t il. Où quand l’art devient passeur de mémoire et moyen de résistance contre l’oubli.
Yataal Art, Médina, secteur Damels. 77 181 59 69, yataalart@gmail.com