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Rapts d’enfants au Sénégal : psychose et mobilisation générale

Depuis le début de l’année 2018, les cas d’enlèvements, disparitions mais aussi viols d’enfants ne cessent de se multiplier, essentiellement dans la banlieue dakaroise. Des actes loin d’être isolés, qui ne sont en réalité que la partie émergée de l’iceberg… Face à cette recrudescence des faits, la psychose gagne peu à peu la population, un sentiment renforcé par une réaction tardive de l’état. Préoccupés et déterminés à faire bouger les choses, les Sénégalais se mobilisent pour interpeller le gouvernement et alerter les populations. Entre 500 et 700 personnes s’étaient ainsi réunies samedi 24 mars pour une marche pacifique à Médina.

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Ce samedi 24 mars, le rond-point de la poste Médina était assailli par une foule importante, toute de noir vêtue. Les slogans “Dafadoy” (“ça suffit” en wolof) ou “Anangueen” (“où sont-ils ?”) revenaient en boucle chez les participants à cette marche pacifique, organisée par le collectif pour la protection de l’enfant (CPPDE). Des mots chocs et des formules percutantes pour exprimer un ras le bol général et un sentiment d’urgence. Cette crainte, c’est la multiplication des viols, enlèvements et disparitions d’enfants qui ont déferlé sur le Sénégal, principalement sur Dakar et sa région, depuis le début de l’année 2018. D’après les chiffres de la police, six enlèvements (ou tentatives) ont été enregistrés à Touba, Rufisque, Matam, Grand Yoff, Mbao. Parmi eux, trois corps d’enfants ont été retrouvés… L’un était celui du petit Serigne Fallou Diop, âgé de 2 ans et originaire de Rufisque. Sa dépouille, découverte le 19 mars dans son quartier, a incité la société civile à se mobiliser sur la question de la sécurité des enfants. « Cela nous concerne tous », a réagit la maman d’un fils de 10 ans venue participer à la marche en ce samedi matin.

Des mobilisations citoyennes

« Au départ, il s’agissait d’un cri du cœur personnel. La population, surtout les parents, s’est ensuite ralliée à l’idée d’organiser une marche pacifique », explique Anta Pierre Loum. Suite à sa proposition, une première marche s’est tenue le 9 mars après la découverte du corps de Marietou Doumbia à Petit Mbao. Cette mobilisation citoyenne fédère: le CPPDE se constitue alors. En trois jours, le groupe Facebook enregistre 8 500 abonnés. Actuellement, les chiffres avoisinent les 12 000 membres, preuve que la demande était réelle. Car depuis quelques mois, les faits se succédant, une réelle psychose gagne tout le Sénégal. Chacun a en tête l’histoire d’une connaissance dont l’enfant, la nièce, le cousin ou le voisin a été enlevé. Un état d’esprit général de méfiance plane dans tous les ménages. Les parents, sur leurs gardes, redoublent d’attention :

« Hier, une femme et un enfant étaient derrière moi dans la rue. Spontanément vu tout ce qu’il se passe, je lui ai demandé si c’était son fils ! On devient suspicieux »,

raconte Rabiatou, membre du collectif. Dans la plupart des cas les enfants sont enlevés sur le chemin de l’école ou pire, dans l’enceinte même de l’établissement. Le phénomène de disparition n’est certes pas récent mais ce qui est nouveau, c’est la recrudescence des cas. « On atteint un cap encore jamais franchi », constate Abdou Touré, membre du CPPDE.

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Les causes restent cependant floues : les rumeurs d’enlèvements en vue de sacrifices circulent, période d’élections oblige (celles-ci  auront lieu en 2019). « Je ne peux pas affirmer que les rapts sont destinés à des sacrifices car aucune preuve n’existe. On a beaucoup de suspicions. Mais sans faits, cela reste des rumeurs », insiste cet acteur de la protection de l’enfance depuis 30 ans dont la nièce a été enlevée sur le chemin de l’école avant d’être finalement retrouvée dans la journée. Minielle Tall Diatta, rejette elle aussi cette explication :

« Les enlèvements ont lieu toute l’année, et cela depuis longtemps, élections ou non. Il faut regarder du côté des trafics d’organes, des réseaux de prostitution, des trafics d’enfants pour du travail forcé,…Ce sont des thèses plus réalistes».

« Je ne cherche plus de raisons à ces actes, il faut juste qu’on éradique ce problème » balaye de son côté Ibrahima Brice, membre du CPPDE.

La jeune maman, préoccupée par la situation, a posté une ébauche de projet sur Facebook afin de trouver une solution immédiate au problème. Réseaux sociaux aidant, le message a été partagé et a permis la rencontre entre personnes intéressées. Au final, une application mobile d’alerte et signalement, SOS enfants disparus, est à l’étude. Un concours pour développeurs (Hackaton) devrait bientôt se tenir afin de mettre cette dernière en service. «L’appli sera reliée directement aux forces de police : cela permettra de bloquer le paramètre dans lequel un enlèvement viendrait de se produire. C’est l’option la plus rapide et pratique car quasi tout le monde possède un smartphone », détaille la Sénégalaise. « Je comprends que l’état soit débordé mais cette situation est angoissante et aberrante. Je suis touchée en tant que mère mais aussi au-delà. C’est une question d’humanité, il est normal de s’impliquer » ajoute t-elle.

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La réaction tardive du gouvernement

Et justement en termes d’implication, l’état n’a pas été très réactif. Les annonces ont trainé mais la mesure du problème semble être enfin prise en compte. Le commissaire divisionnaire Abdoulaye Diop, Directeur de la sécurité publique a ainsi annoncé lors d’un point presse mardi 20 mars, le renforcement des moyens matériels et humains pour faire face à ces enlèvements et meurtres avec la mise en place d’une “Task-Force” regroupant la sécurité publique, la direction de la surveillance du territoire et la direction de la police judiciaire. « Le sentiment d’insécurité causé par les nombreux enlèvements ne saurait prospérer. C’est pourquoi, nous avons pris des mesures fortes pour renforcer la sécurité nationale », a-t-il assuré.

Vendredi 23 mars, c’est finalement au tour du président de la République de s’exprimer. Il déclare avoir « donné les instructions les plus fermes » aux forces de sécurité pour « traquer ces malfaiteurs, les traduire devant la justice. Le Sénégal se mobilisera plus que par le passé pour mettre un terme définitif à ces actes regrettables. C’est ignoble, c’est inacceptable et le Sénégal ne saurait tolérer cela » a garanti Macky Sall. Des paroles, qui si elles ont eu le mérite de rassurer, ne calment pas totalement la population. « Le gouvernement a parlé mais nous ce qu’on attend surtout ce sont des actions » souligne Hapsatou, venue à la manifestation avec ses quatre enfants. Pour Abdou Touré,

« cette réaction est bien mais trop tardive. On a dû leur mettre la pression pour qu’ils réagissent. Ils ont attendu que deux marches soient organisées pour s’impliquer

Autre signe de la volonté de l’état, le ministre de l’intérieur et de la sécurité publique, Aly Ngouille Ndiaye, s’est entretenu avec les membres du CPPDE, le 23 mars. « C’est notre première satisfaction » se félicite Ibrahima Brice, porte-parole du collectif lors de cette rencontre. « Les femmes (qui constituent la majorité du collectif) ont pu sortir toute leur colère et dire leurs préoccupations » détaille-t-il. Lors de cet échange, le ministre a précisé les mesures prévues : les enfants seuls ne pourront plus prendre les transports, ils seront interdits de sortir dans la rue à partir de certaines heures, la présence policière sera renforcée avec des patrouilles à partir de 21H-22H dans les zones vulnérables (la banlieue dakaroise), réinstaurer la police de proximité, renforcer le nombre de policiers, construire de nouveaux commissariats,…l’arsenal prévu est large. « Le collectif suivra de près et sur le long terme ces mesures car on ne veut pas que cela soit des effets d’annonce ou des mesures populistes » garanti Ibrahima Brice. Autre mesure importante, la remise en fonction d’un numéro vert, 800 20 20, en lien avec les forces de l’ordre. Jusqu’alors, il était hors service…

S’il y a bien quelqu’un à qui le hastag “anagueen” était destiné samedi, c’était la ministre de la Bonne gouvernance et de la protection de l’enfant. Depuis le début, et malgré des invitations répétées, Ndeye Ramatoulaye Gueye Diop est restée muette. Aucune sortie, aucune déclaration n’ont filtré. Une attitude qui déchaine les passions au sein de la population. « Elle se fout de nous ! » s’énerve une manifestante lors de la marche.

Où sont les responsables religieux ?

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Silence étonnant également du côté des responsables religieux. Peu se sont exprimés pour condamner ces pratiques. Quelques imams se sont bien déplacés pour participer à la marche ce samedi 24 mars mais dans l’ensemble aucun marabout des grandes confréries n’a pipé mot. Une situation dommageable quand on connait le pouvoir de leurs paroles sur les croyants. « Le sujet est sensible donc ils préfèrent attendre avant de se prononcer car ils ne souhaitent pas accréditer une thèse » réagit Minielle Diatta. L’animateur religieux sur RFM, Oustaz Mor Thiam, les supplie « d’abandonner cette posture attentiste ». Brice lui mesure ces propos :

« Avant la marche de samedi, nous sommes allés sensibiliser la population à Médina, notamment les imams et chefs de quartiers. Et j’ai vu l’implication de certaines figures religieuses. Même s’ils étaient absents lors de la marche, ils ont parlé des rapts lors des prêches du vendredi. C’est une bonne chose ».

« Aucune ambition politique ou des appétits de richesses ne sauraient justifier de pareils actes » a déclaré quant à lui Monseigneur Benjamin Ndiaye, l’Archevêque de Dakar dans son homélie de la messe célébrée lors des Journées mondiales de la jeunesse catholique (JMJ).

Sensibiliser, la clé du changement

« Le gouvernement doit faire sa part mais les parents ont aussi leur responsabilité » appuie Anta Pierre Loum. La marche de samedi 24 mars avait ainsi pour objectif de sensibiliser la population sur les comportements à adopter.

« Le premier niveau de protection se situe au niveau de la famille. Il faut mettre les parents face à leur responsabilité »

renchéri Brice. Les habitudes d’envoyer les enfants faire de petites courses aux boutiques du coin, les laisser jouer seuls dans la rue ou parcourir un plus ou moins long trajet pour aller à l’école sont ainsi pointées du doigt ces derniers temps. Dans cette volonté de sensibilisation, le CPPDE espère se constituer rapidement en association. « L’idée est de créer un collectif pour la protection de l’enfant, pas seulement concernant les enlèvements et disparitions. Nous voulons être un organe de veille sur le respect des droits de l’enfant. Que cela soit sur la question des talibés, l’éducation, le travail,… On s’est rendu compte que peu d’enfants mais surtout de parents, connaissaient et appliquaient les droits de l’enfant », explique Abdou Touré. Des mesures de sensibilisation sont prévues dans les prochains mois. Autre champ d’action du collectif : constituer une base de données concernant tous les cas d’enlèvements et disparitions. « Jusqu’à présent, il y avait peu d’informations. Et les 6 cas relatés par la police ne reflètent pas la réalité. Nous voulons créer une base de données qui nous permette un réel suivit », argumente t-il avant d’ajouter qu’ « il ne s’agit pas de remplacer l’état mais de travailler main dans la main ».

« Nous avons porté plainte contre X en nous constituant partie civile afin qu’une enquête soit ouverte pour avoir des réponses judiciaires » explique Alassane Seck, secrétaire générale de la Ligue Sénégalaise des droits humains (LSDH). Ces séries d’enlèvements sont notamment un point d’inquiétude pour la LSDH car elles signifient un net recul des droits de l’homme. Une annonce loin d’être une bonne nouvelle…

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« Mieux vaut prévenir que guérir » dit l’adage populaire. Sensibiliser les enfants s’avère essentiel. « Il est nécessaire que les écoles instaurent des discussions, des échanges sur le sujet afin que les enfants soient plus méfiants et sachent réagir » rappelle Minielle Diatta. Mr Brarry, directeur adjoint de l’école Cité CAPEC à la ZAC Mbao en a bien saisi l’importance. « Nous avons organisé rapidement une réunion du gouvernement scolaire (constitué de 12 élèves) pour conscientiser les enfants. Il s’agissait de communiquer pour les mettre au courant de la situation dans un premier temps, puis de leur donner des conseils sur comment agir ou sur les précautions à prendre » raconte t il. « Notre première arme est la communication » rappelle le professeur. Pour plus d’impact, il songe aussi à faire des réunions avec les parents. Malheureusement, toutes les écoles n’ont pas encore adopté ces pratiques…

« Ce qui me fait mal, c’est qu’aujourd’hui on se mobilise car cela concerne des familles, des enfants avec des parents. Mais personne ne bouge quand cela concerne des talibés, alors même qu’ils sont les premiers à être victimes de ces pratiques horribles » rappelle avec amertume Ouma. En effet, pour ces 6 tentatives ou enlèvements dénombrés récemment, combien d’affaires d’enfants des rues, ou de talibés, disparus classées sans suite ?

A propos Clémence Cluzel

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