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Les cars rapides, purs produits du Sénégal

Les cars rapides sont propres à la circulation dakaroise et incarnent à la perfection le patrimoine culturel sénégalais. Visite à travers les ateliers de peinture où artistes et carrossiers font marcher leur imagination pour donner vie à ces estafettes jaunes.

Les frères Diallo

Casquette vissée sur la tête, pinceau calé derrière l’oreille et vêtements éclaboussés de peinture multicolore, Amadou entame l’habillage artistique d’un car rapide, aux côtés de son frère, Neyoo, looké de la même façon.

L’engin est arrivé en début de matinée dans l’atelier des jeunes hommes, situé dans le quartier de Rassimission, tout près de la Grande Mosquée de Dakar. Ils ont toute la journée pour le garnir de dessins « symboliques », avant qu’il ne reparte arpenter les rues de la capitale.

Le propriétaire du car rapide a amené son bolide dans la matinée. Il ne viendra le récupérer qu’une fois terminé. Les deux frères peignent selon leurs envies, leurs inspirations journalières. Une seule consigne leur est laissée : inscrire le nom du marabout Fallou, le propriétaire faisant partie de la confrérie mouride, sur chaque côté et à l’arrière du véhicule… Question de fierté. Et puisque l’on ne peut pas appeler le Marabout uniquement par son nom… Question de respect. Alors lui sont rajouté des superlatifs, comme « Mame Fallou », qui signifie « Grand Père Fallou », ou encore « Begue Fallou », qui veut dire « Aimer Fallou ». Et pour une once d’uniformité, les artistes devront également notifier la notion de « transports en commun »… Question de bon sens ! Pour le reste libre aux artistes d’exprimer leur imagination.

« On peint beaucoup de drapeaux sénégalais un peu partout, sur les rétroviseurs, de chaque côtés, à l’avant et à l’arrière. Parfois on fait aussi ressortir les couleurs de la France », explique le frère cadet. «  Ce sont des véhicules de marque Renault, et avant il étaient peints en bleu, blanc et rouge. Petit à petit on a mis du jaune pour nous approprier la chose. Désormais, le car rapide est l’emblème du Sénégal. C’est pourquoi nous peignons des symboles représentatifs de notre pays », lâche fièrement Amadou.

Juste avant d’ajouter la peinture colorée, qui donne toute cette énergie à la carrosserie du véhicule, les deux frères esquissent à la craie les contours de leurs dessins. Sont représentés, des pommes, des ananas ou encore des palmiers… Tout simplement parce que « ici on mange beaucoup de fruits », plaisante Neyoo. La tête de cheval, présente sur presque tous les cars de Dakar symboliserait le devoir de mémoire pour ceux qui ont fait la guerre. La multitude d’ornements des cars rapides n’a rien d’un hasard, elle représente toute une culture. Tous différents par le coup de pinceau de leur artiste, dans la généralité les cars rapides se ressemblent tout de même.

Originaires de Sangalkam, Neyoo et Amadou ont choisi un métier qui leur plaît. « Là bas, dans mon village, j’étais mécanicien de tracteur, mais je n’était pas décidé à faire cela toute ma vie. Alors je suis venu à Dakar en 1999, pour exercer mon art. Mon frère, qui est arrivé en 1994, et mon père m’ont tout appris », confie Neyoo. Aujourd’hui, les frères Diallo sont sollicités pour égayer la carrosserie des cars, mais aussi celle des taxis, des panneaux publicitaires ou encore du mobilier de maison.

« L’âme du Sénégal »

 La chariote de Mamadou est rouge. Elle affiche l’inscription « Nescafé », et est garnie de symboles signifiants aux personnes analphabètes qu’il vend, ici, des boissons chaudes. Rien de foncièrement différent des autres chariotes qui arborent les rues de Dakar. Ancien carrossier-peintre, il a peint soigneusement son outil de travail. Mamadou a 28 ans, aujourd’hui, il vend du café touba sur le bord de la route dans le quartier de Point E le jour. La nuit, il est pâtissier. Pour une matinée, il a décidé de se replonger dans l’univers de l’automobile.

Chaleur, bruits, odeurs nauséabondes, terrain boueux, déchets en masse… Bienvenue sur l’aire de peinture, réparation et lavage de Niarithick, tout près du Tribunal de Dakar.

Là bas, Mamadou rencontre, Ibrahim, assis dans l’encadrement d’une fenêtre de car rapide. Il doit rajouter des dessins sur un car qu’il avait déjà décoré quelques jours auparavant. Il est peintre depuis sept ans, et contrairement aux frères Diallo, lui peint à la demande des propriétaires et chauffeurs des cars. « S’ils veulent que j’esquisse leur village natale, ils me donnent une photo et je le dessine, pareil pour le marabout ou encore pour les messages issus du Coran comme ”Alhamdoulilah” », explique le jeune homme.

Ibrahim, perché sur une fenêtre de car rapide, termine sa prestation artistique / Photo © C. Cuordifede

À quelques centaines de mètres, en remontant le marché de Sandaga, Mamadou retrouve son ami et formateur Booba, dans le quartier de Petersen. Petit check amical et habituelle question de courtoisie, les deux hommes papotent quelques minutes au milieu de l’atelier à ciel ouvert où épaves de voitures et morceaux de ferraille s’entremêlent sur un sol recouvert d’essence et d’huile. Ce jour là, Booba n’a pas de clients, donc pas de travail.

« Cela fait dix ans que j’ai arrêté de travailler en taulerie/peinture. Il n’y a pas assez de travail. Un jour on travaillait, deux jours non. Ce n’était jamais régulier et puis avec ce que je gagnais en une journée, j’arrivais à peine à rembourser mes frais de transport. Et puis les conditions de travail n’étaient pas top non plus », raconte Mamadou, sans une once de nostalgie. Et même si il ne les peint plus, cela reste son moyen de transport favori. Guinéen d’origine, installé à Dakar depuis une quinzaine d’années, pour Mamadou, les cars rapides, « c’est l’âme du Sénégal ». Il n’imagine pas le paysage urbain sans eux.

La multitude de cars rapides présente à Dakar, qui nécessite un entretien perpétuel, créée une dynamique autour des emplois de la branche automobile. Cependant, les conditions de travail sont parfois très dures, et le chômage prégnant.

Disparition annoncée des cars rapides

 Le car rapide est le moyen de transport le plus emprunté à Dakar. Il est peu couteux, entre 50 à 150 francs CFA, et il est efficace car ils ne s’arrêtent jamais de fonctionner. Pourtant, le car rapide dans toute sa splendeur est menacé de disparition pour cause de pollution et d’insalubrité. D’ici fin 2018, ils devraient être tous remplacés par des bus asiatiques, les fameux « Tata ».

L’enjeu serait aussi de remettre de l’ordre dans le réseau de transport dakarois. Car aujourd’hui, il n’y a pas de lignes de transports préétablies. Le marché du car rapide s’est en quelque sorte imposé de manière informelle. Les véhicules appartiennent à des micros-entreprises, qui décident de l’itinéraire qui leur convient.

Les frères Diallo, eux, ne croient pas vraiment en cette disposition si soudaine, « ça doit faire au moins 6 ans, que tous les ans le gouvernement annonce leur disparition du paysage urbain, et puis rien n’est fait. Ils ont déjà essayé de nous imposer les Dakar Dem Dikk et les Tata, et finalement, l’efficacité des cars rapides prime toujours, parce que ces véhicules là, ils sont puissants par rapport aux autres », lâche Amadou, blasé par cette question qui turlupine beaucoup les médias, mais pas les sénégalais.

Une sorte de foi en la longévité de ces estafettes Renault fabriquées dans les années soixante.

Souvent klaxonnés, mais jamais égalés, donc, les cars rapides ne sont pas prêts de disparaître… Peut être faut-il souhaiter « bonne chance », comme il en est coutume d’écrire sur les portes arrières des cars qui font des longs trajets, à ses détracteurs.

A propos Celia Cuordifede

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