Longtemps taboue, la problématique de la consommation de drogues n’était jusqu’à récemment la préoccupation que de quelques associations locales et ONG internationales. Mais devant l’urgence de la situation et grâce au soutien de nombreux acteurs qui ont permis une prise de conscience, de nouvelles structures et initiatives émergent, prenant enfin le problème à bras le corps
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Le Sénégal est devenu au fil des ans une zone de trafic, de consommation et de production (article ici). Production locale de cannabis (appelé yamba ou chanvre indien) et produits importés, les usagers de drogues sont présents dans toutes les strates de la société sénégalaise : classe aisée ou défavorisée, les ravages dus aux addictions n’épargnent aucune catégorie sociale. Encore stigmatisés et bien souvent vus comme des délinquants, les consommateurs peuvent néanmoins trouver de l’aide auprès d’acteurs locaux et quelques récentes structures médicales. Des avancées qui vont dans le sens d’une meilleure prise en charge de ce problème de santé publique même si beaucoup reste encore à faire.
Un centre multidisciplinaire spécialisé dans le traitement des addictions
Inauguré en décembre 2014, le centre de prise en charge intégrée des addictions à Dakar (CEPIAD) est le meilleur exemple de l’immense pas en avant effectué par le Sénégal dans sa lutte contre la drogue, et surtout dans la prise en charge de ses consommateurs. La structure est en effet le premier, et l’unique, centre spécialisé dans le traitement des addictions en Afrique de l’Ouest. Une avancée considérable dans ce défi de santé publique que représentent la prévention et les soins aux usagers de drogues, la consommation de celles-ci étant croissante dans la région. C’est suite à l’étude UDSEN (usagers de drogues au Sénégal) réalisée en 2011 par l’agence CRCF (centre régional de recherches et de formation) que la structure médicale sort de terre. L’étude visait à montrer la vulnérabilité, à la pauvreté mais aussi face au SIDA (le taux d’infection au VIH Sida est de 9.4% pour un taux de 0.7% au niveau de la population générale), des utilisateurs de drogues à injection ou UDI (cocaïne, crack et héroïne) dans l’agglomération de Dakar. Le total d’individus dénombrés, 1 324 personnes, a ainsi permis de mettre la problématique sur la table du gouvernement. Dès septembre 2011, suite aux résultats rapportés, des seringues et préservatifs sont distribués aux populations particulièrement à risque. Dans le même temps, un plaidoyer pour demander l’introduction de la méthadone parmi la liste des médicaments essentiels et la reconnaissance des consommateurs en tant que personnes vulnérables est diffusé. Peu à peu l’information circule, et la demande de structures est finalement écoutée : le CEPIAD est crée en 2013 pour une inauguration en décembre 2014. Les activités du centre débutent véritablement en février 2015, quand le programme de prise en charge pharmacologique des troubles opioïdes est lancé.
« C’était une nécessité d’avoir enfin des structures médicalisées pour prendre en charge ces personnes car la demande est en hausse »,
explique Idrissa Ba, médecin et coordinateur du CEPIAD ayant exercé à Thiaroye, une zone particulièrement touchée du fait de sa situation périphérique, qui en fait aussi un point de chute pour de nombreuses personnes en provenance des régions.
Le centre accueille tous les jours, exception faite des weekends, des consommateurs divers pour un suivi personnalisé et des services ambulatoires. L’équipe multidisciplinaire est composée d’une quinzaine de personnel médical et social : addictologues, psychiatres, généralistes, infectiologues, psychologues, pneumo tabacologues, travailleurs sociaux, médiateurs, éducateurs,… 70% des personnes consultent grâce au travail de terrain des médiateurs, qui font aussi de la prévention et distribuent du matériel (seringues par ex). Les autres cas viennent majoritairement poussés par leur famille. « Chaque patient bénéficie d’un programme personnalisé qui est établi après consultation auprès de spécialistes car pour que cela fonctionne il faut une prise en charge spécialisée », raconte le Dr Ba. Entre 9h et 13h, se succèdent ainsi accros à la cocaïne, au crack, à l’héroïne venus prendre leur dose de méthadone. Car le CEPIAD est le seul centre à délivrer cette substance utilisée comme substitut aux opioïdes. Les UDI trop précaires bénéficient de soins gratuits tandis que les autres patients s’acquittent des frais de consultation (5 000fcfa) et des soins.
Depuis son ouverture, la structure, financée par l’ONUDC, ANRS, CNLS, le Fonds mondial entre autres, a accueilli plus de 2 000 patients. Actuellement, 250 prennent de la méthadone. Le cannabis est de loin la drogue la plus consommée en Afrique de l’Ouest et du centre avec plus de 60% des cas d’usage et de motif de consultation médicale. La cocaïne, crack et l’héroïne suivent ensuite. « Il y a trois catégories d’injecteurs : ceux qui ont été initiés en Europe ou au Sénégal dans les années 80 ou 90, c’est la catégorie la plus importante. Il y a les consommateurs de crack qui sont ensuite passés à l’héroïne. Puis enfin, il y a les professionnelles du sexe qui consomment elles aussi du crack », détaille le coordinateur du CEPIAD. Les médicaments (comme le tramadol) sont aussi en hausse, particulièrement chez les femmes. « Comme la prise des traitements se fait quotidiennement et sur place, seuls les consommateurs dakarois sont inscrits au programme », souligne le médecin. Une obligation qui peut se relever contraignante : « J’ai déjà perdu deux emplois car il faut se présenter chaque matin, parfois il y a du retard,… Ce n’est pas évident », déplore un consommateur venu prendre son traitement ce jour là. Consciente, l’équipe du CEPIAD a mis en place l’import depuis un an : suivant des critères bien précis, certains patients peuvent emporter leur traitement pour plusieurs jours. Unité du service de département de psychiatrie et psychologie médicale de l’hôpital universitaire de Dakar, le CHNU de Fann, le CEPIAD est situé dans l’enceinte de l’hôpital : une façon d’éviter la honte aux usagers, qui cherchent avant tout la discrétion.
En dehors de l’aspect médical, le centre offre des activités sportives (musculation et terrain de basket), des ateliers arts plastiques et des cours d’alphabétisation. Surtout, il comporte un volet réinsertion : des formations sont offertes en aviculture, teinture, micro jardinage, informatique.
« Il est nécessaire de maintenir et d’élargir la prise en charge des UDI, notamment en créant d’autres structures comme le CEPIAD dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Il faut offrir au consommateur la possibilité d’accéder aux soins car des traitements efficaces existent »,
plaide le Dr Ba. Dans cette optique de décentralisation et car les besoins existent en région, des structures similaires ou en tout cas mieux à même de prendre en compte ces pathologies, sont en prévision à Kaolack et Ziguinchor. Ainsi l’hôpital de Mbour a ouvert une unité dédiée à celles-ci en mai.
Un cursus universitaire pour mieux former les professionnels
Avant l’ouverture du CEPIAD, à cause d’un manque d’informations criant, beaucoup de médecins ignoraient l’existence de consommateurs de drogues dures au Sénégal. Dans le cursus en médecine générale, seules deux heures du programme sont consacrées au sujet de l’addictologie… Faute de formation, comment reconnaitre ainsi les symptômes et donc soigner ? Souvent, et c’est toujours le cas, les usagers de drogues sont envoyés en psychiatrie… Un constat alarmant car s’il est essentiel de posséder les structures adéquates, encore faut il que celles-ci puissent compter sur des médecins aguerris, spécialistes du sujet même. Au Sénégal, pour l’heure il n’y a que quatre addictologues, tous formés en France. Parmi eux, le Dr Abou Sy. Le jeune médecin est le responsable du Diplôme Universitaire (D.U) d’addictologie de la faculté de médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), « un diplôme proposé pour la première fois en Afrique » s’était enorgueilli le Pr Pr Mamadou Habib Thiam, chef de service psychiatrique de l’hôpital de Fann, lors de son lancement. Le premier cours a eu lieu en mars de cette année. Organisé sur 6 mois, entre cours théoriques et stage pratique,
« le D.U s’attache à outiller en donnant un ensemble de connaissances théoriques afin de mieux appréhender, réagir et orienter les consommateurs. Notre objectif est de nous positionner comme structure d’enseignement de référence dans le domaine »,
souligne le responsable du DU avant d’insister sur le fait que l’obtention du diplôme ne permet aucunement de se qualifier addictologue, ni de traiter les consommateurs.
L’enseignement s’adresse à toute personne diplômée d’un bac +4 : « Il concerne les personnels de santé mais aussi les structures associatives, les travailleurs sociaux », développe le Dr Sy. Ainsi parmi la première promotion, sur les 17 étudiants majoritairement issu du médical (psychologues et psychiatres, médecin généraliste et infirmiers), un travailleur social et une personne du monde associatif suivaient également les modules. Certains sont originaires de Dakar et sa banlieue mais d’autres viennent de plus loin : Mbour, Thiaroye et même Ziguinchor. Quelques uns ont obtenu des bourses, tandis que d’autres ont dû s’acquitter des 50 000fcfa requis pour suivre la trentaine de cours. Et justement qu’étudient ils ? Les thématiques sont variées : la consommation féminine, la polytoxicomanie, la grossesse chez les consommatrices,…l’éventail est large afin de couvrir au mieux tous les cas possibles. « Je recevais des patients drogués sans pour autant qu’ils viennent consulter pour cela. Je me suis peu à peu rendu compte du problème mais je ne savais pas vraiment comment y faire face » se rappelle le Dr Adama Koundoul, psychiatre et médecin en chef du centre de psychiatrie Emile Badiane de Zinguinchor. C’est le même sentiment d’ « incapacité et de faiblesse » qui a poussé le Dr Papa Amadou Diallo, médecin généraliste à Mbour à venir se former : « Je n’avais pas les moyens de donner une réponse adéquate aux besoins de mes patients, je ne pouvais pas leur donner ce dont ils avaient besoin », argumente t il. Le DU semble ainsi apporter une première réponse dans la prise en charge des personnes présentant une addiction.
Le rôle des associations dans la prévention
C’est bien souvent par manque d’informations que les usagers tombent dans le piège de la drogue comme le rappelle Cheikh Diop, président du Centre Jacques Chirac (CSID) de Pikine depuis 6 ans. Ce centre, appartenant au Réseau africain contre la drogue, les violences et le Sida (RADOVIS), s’attache depuis 1995 à faire de la prévention, sensibiliser et informer sur les drogues. Il distribue notamment des kit de seringues afin de réduire les risques de maladies par exemple.
« La sensibilisation est essentielle. Il faut faire de la prévention, particulièrement auprès des jeunes, pour que les personnes évitent de tomber dans la drogue,»,
martèle ce diplômé en sociologie du développement avant d’ajouter : « La majorité des habitants de cette banlieue vit dans la précarité et l’oisiveté. Cet état de désespoir est une des raisons de la consommation. La prise de drogues est bien souvent liée à leurs conditions sociales, la population est plus vulnérable». Le centre offre le seul espace de rencontre des jeunes du quartier qui peuvent venir jouer sur le terrain de basket, organiser des concerts ou encore profiter de l’atelier de menuiserie mis à disposition. Une manière d’occuper cette population plus susceptible de tomber dans l’addiction.
Le CSID procure accueil et appui grâce à une stratégie d’accompagnement qui comprend une aide juridique en cas de procédure judiciaire ainsi qu’un soutien psychologique avec un médiateur, notamment pour la relation avec la famille. Le suivi comporte aussi un volet aide à la réinsertion. En effet, avec l’appui de l’ANCS (Alliance Nationale des communautés pour la santé), le centre propose des acquis de compétences professionnelles : sérigraphie, agriculture, poterie,… selon les demandes des usagers. Pour toutes les questions médicales, les patients sont orientés vers le CEPIAD ou l’hôpital de Thiaroye.
Depuis les débuts, cette structure de référence en Afrique dans la lutte contre la drogue, compte majoritairement sur l’aide de bénévoles pour fonctionner. Malgré le soutien de partenaires divers (ONUDC, une coalition communautaire, la coopération française et italienne, l’ANCS entre autres), le CSID manque cruellement de moyens, particulièrement depuis l’arrêt d’un financement de l’état sénégalais, pourtant partenaire numéro un jusqu’alors. Au quotidien, quatre personnes (rémunérées) sont présentes, aidées par du personnel d’appui, principalement des animateurs.
Sensibiliser, accompagner, réinsérer mais aussi former des acteurs communautaires pour qu’ils se fassent le relais.
« Il y a tout un travail de plaidoyer à faire pour changer les perceptions, pour éduquer les communautés mais aussi au niveau de l’état. Il doit s’engager encore plus dans cette lutte mais aussi revoir le cadre juridique : il faut que l’on cesse de confondre trafiquant et consommateur et donc éviter cette approche punitive. Il faut soigner avant tout avant de punir »,
conclut-le président du CSID.
Thank you for the excellent post
Que faire pour un consommateur qui refuse de se faire aider et qui ne souhaite même pas en parler. Il croit maîtriser la situation,alors que c’est clair qu’il est de plus en plus dépendant de l’herbe. Besoin d’aide svp !? Est-ce une bonne idée que de le signaler à la police pour qu’il fasse une prise de conscience avant que son cas ne s’aggrave?
Dans la sante on ne peut forcer personne à se soigner parce que l’on part du point de vue qu’il désir plus être en sante que nous on veut qu’il le soit. Mais par contre se que l’Etat et les ONG peuvent peuvent faire c’est de sensibiliser et de mettre en place des dispositifs pour aider ces gens à suivre des traitements spécifiques.
Oui c’est une bonne idée de le signaler mais à des organisations comme CEPIAD pour prendre en charge cette personne car impliquer la police va aggraver la situation car ce derniers est réputée pour des saisis et cela perturbe en particulier et fait fuir ces personnes en besoin.
En matière de santé on ne peut obliger personne à se soigner car on doit partir du point de qu’il désir plus être en sante que nous voulons qu’il soit. Mais ce que l’Etat et les ONG peuvent faire c’est de mettre en place des dispositifs pour prendre en charge ces personnes qui sont dépendants et de sensibiliser en passant par les école les publicités à la télévision.
Oui c’est une bonne idée de le signaler mais pas a la police car ces derniers sont réputes pour des saisis et cela peut perturber et faire fuir cette personne dans le besoin. Il faut plutôt essayer de le convaincre ou d’en parler a des organisation comme CEPIAD.
Bonjour, très bon article de fond. Mon avis: Ne pas faire comme en France… Il faut éradiquer TOUS les vendeurs du plus petit au plus “puissant” et en donner les moyens à des forces spéciales .
La police c’est inopérant a long terme. Chercher juste les gros bonnets en pensant que cela va tarir les sources ne fonctionne pas. Nous le faisons depuis 40 ans sans succès. Il faut faire l’inverse et traquer même les plus petits vendeurs.
Le coût social de ce fléau est ÉNORME et la perte d’intelligence utile à la société l’est tout autant.
Bon courage