Après 8 ans de travail et des centaines de concerts, le groupe sénégalais Sahad and the Nataal Patchwork sort enfin son 1er album, “Jiw” (la graine en wolof), le 25 mars 2017. Une graine qui aura pris son temps pour sortir de terre mais dont l’attente est gage de qualité. L’équipe de musiciens présente un album riche et varié : les textes plein d’humanisme sont portés par des mélodies aux influences éclectiques et gorgées d’énergie. Un joyeux patchwork qui met au centre de son identité le cosmopolitisme. A l’occasion du concert de lancement de “Jiw” à l’Institut Français, Nouvelles de Dakar, a rencontré le leader du groupe, Sahad Sarr.
Quand le groupe a débuté, en 2009, le public n’était pas vraiment habitué à écouter ce genre de registre musical. Les compositions de Sahad and the Nataal Patchwork sont inclassables. Leur style c’est avant tout une sonorité kaléidoscopique. Une musique à la croisée des styles, qui mixe influences et rythmes variés : de l’afrobeat, du jazz, du blues malien,…. Impossible de les ranger dans des cases : ce serait d’ailleurs bien trop réducteur et à l’encontre même de la philosophie du groupe.
Un groupe cosmopolite
Sahad and the Nataal Patchwork
c’est surtout l’histoire de rencontres, d’expériences, comme un trait d’union entre des univers multiples, des personnes de cultures et d’horizons différents. Un vrai melting-pot qui insuffle un souffle nouveau à la musique africaine. « Il y a toujours une touche africaine dans nos compositions même si l’on est très influencés par des rythmes variés. C’est important ce retour à la culture originelle. Le Sénégal est un pays très musical. Les Sénégalais sont beaucoup influencés par la musique, elle fait vraiment partie de leurs valeurs », explique Sahad, chanteur/guitariste à l’origine de la création du groupe.
Un cosmopolitisme comme carte d’identité et qui imprègne toute leur démarche. Leur nom d’abord : “Nataal” signifie le reflet, la photo en woloff. “Nataal patchwork” c’est donc comme un reflet de l’univers, une façon de refléter la diversité des façons de penser, de vivre qui existent dans le monde. Une variété qui se retrouve aussi dans la composition du groupe : les musiciens sont congolais, ivoiriens, sénégalais,… Un joyeux brassage culturel ! Une diversité qui se ressent et vient enrichir leur répertoire.
Depuis sa création, les membres de l’équipe ont plusieurs fois changé mais à partir 2015 et la sortie de leur 1er EP, la composition est quasiment la même. Le groupe est composé de 7 musiciens : Sahad Sarr (chanteur/guitariste), Alioune François Keita (basse), Joon Ho Wantete (clavier), Gislas Nzolani (trompette), Stachys Nzolani (trombone), Yannick Proenca (batterie) et Jean-Marc banzouzi (guitare soliste).
Une popularité grandissante
A l’origine, Sahad and the Nataal Patchwork vient du projet personnel de Sahad Sarr. Le Sénégalais, diplômé en marketing, est depuis toujours passionné par la musique. « J’ai commencé à jouer à la guitare à 11 ans. Je cherchais à imiter mon grand-frère ! Au départ, s’était un passe-temps, je ne pensais pas aller plus loin », plaisante ce musicien fan de Richard Bona ou encore de Buena Vista Social Club. Mais peu à peu le bouche à oreille fait son effet et le groupe se développe, prends de plus en plus d’ampleur, notamment grâce aux rencontres amicales. « L’enchaînement s’est fait assez naturellement », résume Sahad. Le groupe s’est produit dans plus d’une 100aine de concerts, a joué avec Keziah Jones ou encore Seun Kuti, a participé à plusieurs festivals,… jusqu’à la sortie de leur EP en 2015 avec un concert de lancement à l’Institut Français de Dakar, « un bon tremplin pour se faire connaitre et gagner en popularité » dit-il.
Puis, tout s’enchaine. Les récompenses s’accumulent. En 2016, ils participent aux JMC (Journées Musicales de Carthage) : ils repartent avec le Tanit d’Or. « C’était une super reconnaissance et très bonne carte de visite pour la suite. Ça nous a ouvert pas mal de portes. On a aussi gagné une somme d’argent pour produire notre futur disque » se souvient Sahad. La même année, ils sont lauréat du prix Rêve Africain et finaliste du MIDEM (Marché international de l’édition musicale qui se tient à Cannes). « On a utilisé un partie de la somme gagnée aux JMC pour financer notre voyage à Cannes. Mais ça valait vraiment le coup ! Cela nous a permit d’être sélectionnés pour le Visa for Music » s’enthousiasme-t-il.
A la suite de ces participations, ils ont reçus plusieurs invitations pour des festivals en Europe. Une rareté qui mérite d’être soulignée :
« Nous sommes l’un des rares groupes sénégalais à faire ce type de musique et à être invités à venir jouer en Europe. C’est formidable ! »,
s’exclame Sahad. La tournée européenne (France, Belgique, Espagne) devrait débuter à partir de juin.
Des textes engagés
La musique est le fil rouge, l’élément unificateur du groupe. Sahad compose les textes des chansons ainsi que les mélodies.
« Pour moi, la musique doit avoir un sens. Ça ne veut pas forcément dire prendre parti mais au moins permettre d’aborder certains sujets, d’exposer des ressentis personnels »
raconte-t-il. Les thèmes de Sahad and the Nataal patchwork ? Des sujets forts, du quotidien, qui nous touchent tous tels que la mondialisation, la mixité, l’indépendance de l’Afrique,… Avec toujours une certaine touche de spiritualité mais surtout d’humanisme. Un des sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur, c’est la richesse du Sénégal : « Ici les gens ignorent beaucoup de leur propre culture. Ils veulent à tout prix ressembler aux pays occidentaux. Je trouve cela vraiment dommage. Nous, au contraire, on incite à un retour à nos racines, à la valorisation de nos propres richesses », argumente-t-il. Dans cette démarche la plupart des chansons sont chantées en wolof, même si parfois d’autres langues viennent s’entremêler.
Comment définir ce 1er album? « Jiw (la graine) c’est l’idée que dans chaque homme, il y a une graine. C’est une métaphore : ça signifie que la solution est en nous et que chaque graine est un arbre en devenir », détaille le chanteur. Avant de sortir cet album – la date de sortie est fixée au 25 mars (en octobre pour l’étranger)- le groupe a pris son temps. 8 ans pour composer des mélodies, écrire des textes, réunir les fonds, trouver un studio,… « Jusqu’à récemment, on n’avait pas suffisamment de moyens pour faire un album à la hauteur de nos ambitions. On voulait un album vraiment éclectique, qui nous ressemble. Nous avons préféré prendre notre temps» argumente Sahad. Le groupe, très attaché à son indépendance, a préféré refuser certaines propositions et s’autoproduire afin de ne pas « être prisonnier d’un système » et « perdre son âme artistique ». Un choix risqué mais en accord avec leur philosophie.
Dans cette optique d’indépendance, Sahad a créé un label, Patch World Production avec à terme la production d’artistes locaux.
« La musique est très difficile au Sénégal : il y a beaucoup de jeunes artistes très talentueux, mais pas de structures pour les encadrer et les pousser vers le haut. Patch World aidera les jeunes musiciens, cinéastes, artistes, à enregistrer, produire, et développer leur créations artistiques »,
explique ce musicien autodidacte. « On ressent le colonialisme même dans la musique. Rien qu’avec l’appellation “world music” : on met des artistes dans cette case toute faite et ils se doivent de correspondre à ce qu’on attend d’eux, un certain « exotisme », sous peine de se retrouver en dehors du système. On attend toujours de l’africain qu’il joue du djembé. C’est vraiment réducteur, il faut lutter contre ça. C’est aussi ça l’idée de Patch World Production » conclut cet artiste engagé.
Concert pour le lancement de « Jiw », 1er album de Sahad and the Nataal Patchwork, samedi 25 mars à 20h30 à l’Institut Français de Dakar, 89 rue Joseph Gomis. Adhérents : 1 000Fcfa/Non-adhérents : 3 000Fcfa