Ouverte lors de la Biennale 2018, la Galerie Cécile Fakhoury continue de s’imposer surement dans le paysage dakarois. Fidèle à sa volonté de promouvoir l’art africain contemporain, elle met en avant jusqu’au 28 septembre 2018, l’artiste ivoirien Armand Boua. A mi chemin entre la peinture et le collage, aux frontières du street art et de la photographie, « Brobrosseurs » donne forme à ces personnages débrouillards aux multiples petits boulots qui peuplent les rues d’Abidjan.
Depuis son ouverture au printemps 2018 en pleine Biennale, la Galerie Cécile Fakhoury est bel et bien ancrée dans le paysage culturel et artistique dakarois. A l’instar de sa structure mère d’Abidjan ouverte en septembre 2012 dans un contexte politique agité, la galerie de Dakar s’attache à faire émerger et accompagner un marché de l’art contemporain africain.
« La galerie est dans une optique de promotion de l’art et des artistes du continent. Il s’agit d’éveiller les goûts, de se défaire de l’idée que celui ci est élitiste »
, détaille la responsable de la galerie, Delphine Lopez. Pour changer ce dernier et faire évoluer les mentalités, notamment des locaux, la structure de 100m2 mise ainsi sur une programmation variée, se renouvelant fréquemment pour proposer de nouvelles découvertes au visiteur. L’occasion également de faire vivre la scène locale en donnant une visibilité à ces artistes encore trop souvent exilés à l’étranger faute d’opportunités dans leur pays. Pour sa 2eme exposition, la galerie met ainsi à l’honneur l’artiste ivoirien Armand Boua à travers sa série de toiles « Brobrosseurs ».
« Brobrosseurs » : portraits d’une jeunesse des rues d’Abidjan
Inspiré par ses rencontres avec des enfants et jeunes des rues populaires d’Abidjan avec qui il a lié une amitié, influencé par ses souvenirs et les récits qu’il a pu recueillir, l’artiste formé aux Beaux Arts et au Centre Technique des Arts appliqués de la capitale ivoirienne retranscrit des scènes de ce quotidien : le cireur de chaussures, une charrette, le grand frère du groupe, la foule,… En langue nouchi, un « brobrosseur » est une personne débrouillarde cumulant les petits boulots pour lui permettre de vivre. Plan B, galères, entraide,… c’est tout ce ballet journalier, vibrant et vivant, qu’Armand Boua donne à voir dans ses œuvres qui traduisent l’histoire agitée du pays.
Une réalité dure mais dont le traitement évite le pathos. « Je trouve au contraire que ces toiles sont plutôt positives. Il y a un côté héroïque : les personnes sont représentées dans des postures dignes une manière de montrer que malgré les difficultés, elles résistent et restent debout », analyse la jeune galeriste. Une interprétation renforcée par les halos de couleurs vives entourant tels des auras les personnages, silhouettes abstraites et figuratives prises sur le vif. Un moyen de donner une place et rendre leur dignité à ces personnages aux destins singuliers, de mieux cerner aussi les vibrations et la violence des rues d’Abidjan. Une réalité qui trouve d’ailleurs un écho avec celle des enfants des rues et talibés mendiants à Dakar.
A mi chemin entre le street art, les affiches, la photographie, l’Ivoirien mixe les supports. L’aspect urbain se retrouve dans la technique et les matériaux utilisés pour concevoir les toiles. A première vue précaires, elles sont en réalité le fruit d’un travail minutieux en plusieurs étapes. Sur une base de cartons ramassés dans la rue et assemblés, Armand Boua colle des journaux, y peint des silhouettes noires, apporte des touches colorées puis en dernière étape de ce long processus de création, brosse le tout, donnant à l’œuvre un côté vieilli. Une impression de temps qui passe, renforçant cette idée de frénésie urbaine, d’énergie débordante que dégage cette immense ville qu’est Abidjan.
Un marché encore à ses balbutiements mais prometteur
Le marché de l’art contemporain à Dakar est jeune mais son dynamisme est certain. Encore réduit, l’intérêt est cependant grandissant pour le secteur et une petite frange amatrice (et fortunée) de collectionneurs africains existe déjà. De plus en plus d’Africains aisés se mettent en effet à investir dans l’art. D’autant plus que les côtes des artistes du continent sont pour l’instant moindres en comparaison de celles d’artistes occidentaux. Un argument de plus pour acheter.
La Galerie Cécile Fakhoury, mondialement reconnue, n’a donc rien laissé au hasard en s’installant dans la capitale sénégalaise. « Nous avons réalisé plusieurs ventes, notamment pendant la Biennale, l’occasion rêvée compte tenu du nombre de visiteurs venus du monde entier. La plupart des œuvres sont parties pour l’étranger il est vrai. Ce qui permet aussi de les faire voyager et donc de contribuer à leur diffusion. Mais d’autres pièces sont vouées à rester ici au Sénégal ou sur le continent : c’est une satisfaction en plus. Cela à un petit côté plaisant !» se félicite Delphine Lopez.
Le paysage local offre peu de musées, en dehors de l’IFAN et la Galerie Nationale qui ont souvent des expositions rarement renouvelées ou qui mettent uniquement en avant l’art traditionnel. L’absence de structures mais aussi d’écoles spécialisées, de professeurs bien formés et de conservateurs contribuent à créer ce manque de représentation des artistes africains. Une carence qui se ressent ensuite dans les galeries et expositions internationales. Loin d’être la seule solution à ce désert, la galerie Cécile Fakhoury espère comble à son niveau cette brèche. Ainsi dans le futur, Delphine Lopez espère pouvoir développer des partenariats avec des établissements scolaires et des écoles d’art.
D’ores et déjà, la prochaine exposition, prévue mi octobre, continuera à diversifier l’offre en proposant une nouvelle expérience aux visiteurs puisqu’il s’agira d’une exposition vidéo. La galerie sera également partenaire de l’évènement Partcourt prévu en décembre.